Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique by Albert Robida (inspirational books for students .txt) 📗
- Author: Albert Robida
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La diligence s'arr�ta sur la grande place, � l'auberge du Grand Saint-Yves, flanqu�e � droite du Cheval-Rouge et � gauche de l'�cu-de-Bretagne. Une plantureuse h�tesse, tr�s empress�e, et des servantes � la figure r�jouie re�urent les voyageurs � la descente de la diligence. On leur donna de vastes chambres �clair�es d'un c�t� sur la rue et de l'autre sur une cour pittoresque, entour�e de b�timents divers � grands pavillons et tourelles d'escalier, d'�curies, de remises aux vieux piliers de bois et encombr�e de v�hicules, omnibus, cabriolets et autres antiques guimbardes.
Estelle avait deux chambres, une petite pour Grettly et, pour elle, une immense pi�ce � poutres apparentes, � grande chemin�e et � meubles antiques. De na�ves lithographies du Moyen �ge, retra�ant les malheurs de Genevi�ve de Brabant, ornaient les murs tapiss�s d'un papier � grandes fleurs.
D�s le lendemain, une existence nouvelle commen�a pour nos voyageurs. C'�tait le jour du march�, qui se tenait sur la place, devant le Grand Saint-Yves; ils furent r�veill�s par le bruit et assist�rent de leurs fen�tres au d�fil� des voitures de l�gumes, des �nes charg�s de paniers de pommes de terre, de choux et d'oignons, des fermiers menant des cochons roses dans de petites charrettes, des paysannes guidant avec une gaule des troupes d'oies cancanantes.
Estelle et Georges, suivis de Grettly, furent bient�t sur la place � tourner autour des paysans et des marchandes, des laiti�res, des petites bourgeoises de la ville marchandant une botte de carottes ou une paire de canards. Sulfatin et son malade les rejoignirent. Toutes ces petites sc�nes de la rue semblaient extr�mement curieuses � ces ultra-civilis�s; ils faisaient de longues stations devant une laiti�re mesurant son lait, devant le r�mouleur ambulant repassant les couteaux des paysans, devant le mar�chal ferrant en train de remettre un fer � un cheval, spectacle nouveau et plein d'int�r�t pour ces chevaucheurs d'a�ronefs.
Apr�s un d�jeuner qui mena�ait de ne plus finir, car de la cuisine aux bonnes fum�es odorantes surgissaient constamment des servantes avec des plats nouveaux, les voyageurs gagn�rent la rivi�re et descendirent vers la mer par un sentier des plus irr�guliers menant � des champs de roseaux, � de petites criques de sable jaune sous les arbres, o� r�sonnait le battoir des lavandi�res en corsages bleus, � c�t� de ponts de bois cahotants, jet�s de roche en roche, sous les vieux moulins moussus dont les grandes roues verdies, tournant lentement avec le courant, versaient comme des ruissellements d'�tincelles.
Grettly �tait aux anges. Elle retrouvait la vraie nature sans aucune trace de ces fils �lectriques tendus comme un immense filet aux mailles mille fois entre-crois�es sur le reste de la terre. De temps en temps, elle levait la t�te, surprise et charm�e de ne plus voir le ciel sillonn� de nos v�hicules a�riens � grande vitesse.
Elle jetait des regards d'envie aux Bretonnes qui marchaient pieds nus sur la rive, et son bonheur e�t �t� complet s'il lui e�t �t� permis de retirer ses souliers, ainsi qu'elle faisait, pour ne pas les user, au temps de son enfance, dans la montagne.
Au moins, il n'�tait pas besoin de pantoufles isolatrices, et l'on n'avait point � redouter les dangereuses fantaisies de l'�lectricit�!
Certes, M. Philox Lorris e�t marqu� un vif m�contentement s'il avait pu voir, dans l'apr�s-midi de ce jour et tous les jours suivants pendant une quinzaine, sur la plage de Kerno�l, Georges Lorris �tendu sur le sable � c�t� d'Estelle Lacombe, � l'ombre d'un rocher ou d'un bateau, ou couch� dans l'herbe, plus haut, � mar�e haute, au pied des menhirs, avec Estelle pr�s de lui, passant ces douces journ�es en causeries d'une intimit� charmante, ou lisant—horreur! au lieu des Annales de la Chimie ou de la Revue polytechnique,—quelque volume de vers ou quelque recueil de l�gendes et traditions bretonnes!
Enfin, sujet d'�tonnement non moins grand, Sulfatin �tait l� aussi, la pipe � la bouche, lan�ant en l'air des nuages de fum�e, pendant que son malade Adrien La H�ronni�re ramassait des coquillages ou faisait des bouquets de fleurettes avec Grettly. La H�ronni�re n'�tait plus tout � fait le lamentable surmen� qu'on avait �t� oblig� de nicher pendant trois mois dans une couveuse m�canique; il allait tr�s bien, le traitement de l'ing�nieur m�dical Sulfatin faisait merveille et surtout le r�gime suivi au Parc national.
Le t�te-�-t�te du Voyage de fian�ailles est bien loin d'avoir produit la brouille que Philox Lorris jugeait in�vitable. Au contraire. Les deux jeunes gens passent de bien douces journ�es en longues causeries, � se faire de mutuelles confidences, � se r�v�ler plus compl�tement, pour ainsi dire, l'un � l'autre et � reconna�tre dans leurs go�ts, leurs pens�es, leurs espoirs, une conformit� qui permet d'augurer pour l'union projet�e un long avenir de bonheur.
Dans une belle vieille �glise remplie de na�ves statuettes religieuses, avec des petits navires en ex-voto suspendus aux vo�tes gothiques, ils ont assist� � la messe et aux v�pres au milieu d'une population rev�tue des costumes des grands jours. Apr�s les v�pres, on danse sur la place; sur une estrade faite de planches pos�es sur des tonneaux, des joueurs de biniou soufflent dans leurs instruments aux sons aigrelets. Bretons et Bretonnes, formant d'immenses rondes, tournent et sautent en chantant de vieux airs simples et na�fs.
Bonheur de revivre aux temps primitifs,
D'�couter des chants joyeux ou plaintifs...
Georges et Estelle, entra�n�s par le courant sympathique de ces bonnes vieilles mœurs, se joignirent aux rondes avec quelques �trangers en train de faire une cure de repos, et Sulfatin lui-m�me parut s'y mettre de bon cœur. Son malade regardait, n'osant se risquer: Grettly le poussa dans la ronde et lui fit faire quelques tours, apr�s lesquels il s'en alla tomber, essouffl�, sur un banc de bois, pr�s des tonneaux de cidre, parmi les gens que la danse alt�rait.
Estelle est tout � fait heureuse. Tous les deux jours, le facteur lui apporte une lettre de sa m�re. Le facteur! On ne conna�t gu�re plus ce fonctionnaire maintenant, except� dans le Parc national d'Armorique. Partout ailleurs, on pr�f�re t�l�phonoscoper, ou pour le moins t�l�phoner; les messages importants sont envoy�s en clich�s phonographiques arrivant par les tubes pneumatiques; il n'y a donc plus que les parfaits ignorants du fond des campagnes qui �crivent encore. Estelle seule conna�t les �motions de l'heure du courrier, car Georges Lorris ne re�oit pas de lettres. Il a �crit � son p�re apr�s quelques jours pass�s � Kerno�l, mais Philox Lorris n'a pas r�pondu. Peut-�tre n'a-t-il pas encore eu le temps d'ouvrir la lettre.
Sulfatin re�oit aussi sa correspondance, non pas des lettres, mais de v�ritables colis apport�s par la diligence, des paquets de phonogrammes qu'il se fait lire par le phonographe apport� dans son bagage. Il r�pond de la m�me fa�on, c'est-�-dire qu'il parle ses r�ponses et envoie ensuite les clich�s phonographiques par colis. Cette correspondance est ainsi exp�di�e rapidement et Sulfatin est ensuite ma�tre de tout son temps.
A la grande surprise de Georges, l'imperturbable Sulfatin continuait � ne rien dire, � ne pas protester contre le s�jour dans ce pays arri�r� de Kerno�l. Il oubliait compl�tement les instructions de M. Philox Lorris; un Sulfatin nouveau s'�tait r�v�l�, un Sulfatin gai, aimable et charmant. Il ne cherchait aucunement � troubler les joies paisibles de ces bonnes journ�es et ne s'effor�ait point de susciter, ce qui n'e�t pas �t� facile d'ailleurs, des motifs de brouille, ainsi que le lui avait pourtant si express�ment recommand� Philox Lorris. �trange! �trange!
Georges, qui s'�tait pr�par� � soutenir de violents combats contre le s�v�re Sulfatin, se r�jouissait de n'avoir pas eu m�me � commencer la lutte. Seul, le malade de Sulfatin, Adrien La H�ronni�re, devant qui Philox Lorris ne s'�tait pas g�n� de parler quand il avait expliqu� ses intentions � Sulfatin, seul La H�ronni�re se creusait la t�te pour chercher � deviner le motif d'une si compl�te infraction aux instructions de son grand Patron. Bien que toute op�ration mentale, tout encha�nement d'id�es un peu compliqu� f�t encore une dure fatigue pour lui, La H�ronni�re s'effor�ait de r�fl�chir l�-dessus, mais il n'y gagnait que de terribles migraines et des admonestations de Sulfatin.
Vers le quinzi�me jour, Sulfatin changea tout � coup: il parut moins gai, presque inquiet. Sous pr�texte que l'on commen�ait � s'ennuyer � Kerno�l dans un paysage trop connu, il proposa de partir vers Ploudescan, � l'autre extr�mit� du Parc national. Georges, pour le satisfaire, y consentit volontiers. On quitta donc Kerno�l. Empil�s dans un mauvais omnibus, secou�s sur des chemins rocailleux, entretenus avec n�gligence, les voyageurs durent faire quinze longues lieues.
C'�tait une autre Bretagne, une Bretagne plus rude et plus s�v�re qui se r�v�lait � eux, avec ses landes m�lancoliques malgr� la parure des gen�ts, avec ses horizons aux lignes aust�res, ses sites rocailleux et ses falaises chauves.
Ploudescan �tait bien loin de poss�der les agr�ments de Kerno�l. C'�tait un simple village aux rudes maisons de granit, couvertes en chaume, au bord de la mer sur des roches sombres, dans un paysage d'une grandiose aust�rit�. Il s'y trouvait seulement une auberge passable, fr�quent�e par les photo-peintres qui viennent braquer chaque �t� leurs appareils sur les rochers et r�cifs de la temp�tueuse baie de Ploudescan, et nous donnent ainsi, en groupant avec art les habitants de Ploudescan, leurs mod�les, dans des sc�nes ing�nieusement trouv�es, sur des fonds appropri�s, les magnifiques photo-tableaux que nous admirons aux diff�rents Salons.
Georges et Estelle entreprirent, � Ploudescan, une s�rie de petites promenades. Sulfatin ne les accompagnait pas toujours, il �tait de plus en plus pr�occup�, il s'absentait maintenant assez souvent et laissait son malade aux soins de Grettly.
O� allait-il pendant ces absences myst�rieuses?
Nous allons le dire et r�v�ler, quoiqu'il nous en co�te, les faiblesses de Sulfatin, cet homme si remarquable d'ailleurs et que nous pouvions croire d'un mod�le nouveau. Ploudescan est situ� sur la limite du Parc national; � trois quarts de lieue se trouve Kerloch, station de Tubes, pourvu de toutes les facilit�s que nous assure la science moderne. Tous les jours, Sulfatin s'en allait � Kerloch et accaparait, pour une heure ou deux, l'un des T�l�s de la station.
P�n�trons avec lui dans la cabine du t�l�phonoscope qui permet n'importe o� et n'importe quand de retrouver les �tres aim�s rest�s au logis, de revoir l'usine ou le bureau qu'on a laiss�s au loin... Chaque jour, Sulfatin demande la communication, soit avec Paris, 375, rue Diane-de-Poitiers, quartier de Saint-Germain-en-Laye, soit avec Paris, Moli�re-Palace, loge de Mlle Sylvia. A Saint-Germain, la correspondante de Sulfatin est �galement Mlle Sylvia; le 375 de la rue Diane-de-Poitiers, �l�gant petit h�tel tout neuf, a l'honneur d'abriter la c�l�bre artiste Sylvia, la trag�dienne-m�dium, �toile de Moli�re-Palace, qui fait courir depuis six mois tout Paris � l'ancien Th��tre-Fran�ais.
Bien entendu, courir est une mani�re de parler, les th��tres, m�me avec les plus grands succ�s, �tant souvent presque vides, maintenant qu'avec le T�l� on peut suivre les repr�sentations de n'importe quelle sc�ne sans bouger de chez soi, sans sortir de table m�me, si l'on veut, si bien qu'on a �t� amen� � r�duire consid�rablement les salles et qu'on parle m�me de les supprimer compl�tement, ce qui apportera une notable diminution aux frais des
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