Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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Ces accidents naturels durent n�cessairement exercer l'imagination des astronomes terrestres. Les premi�res observations ne les avaient pas d�couvertes, ces rainures. Ni H�v�lius, ni Cassini, ni La Hire, ni Herschel ne paraissent les avoir connues. C'est Schroeter qui, en 1789, les signala pour la premi�re fois � l'attention des savants. D'autres suivirent qui les �tudi�rent, tels que Pastorff, Gruithuysen, Beer et Moedler. Aujourd'hui leur nombre s'�l�ve � soixante-dix. Mais si on les a compt�es, on n'a pas encore d�termin� leur nature. Ce ne sont pas des fortifications � coup s�r, pas plus que d'anciens lits de rivi�res dess�ch�es, car d'une part, les eaux si l�g�res � la surface de la Lune n'auraient pu se creuser de tels d�versoirs, et de l'autre, ces sillons traversent souvent des crat�res plac�s � une grande �l�vation.
Il faut pourtant avouer que Michel Ardan eut une id�e, et que, sans le savoir, il se rencontra dans cette circonstance avec Julius Schmidt.
�Pourquoi, dit-il, ces inexplicables apparences ne seraient-elles pas tout simplement des ph�nom�nes de v�g�tation?
—Comment l'entends-tu? demanda vivement Barbicane.
—Ne t'emporte pas, mon digne pr�sident, r�pondit Michel. Ne pourrait-il se faire que ces lignes sombres qui forment l'�paulement, fussent des rang�es d'arbres dispos�s r�guli�rement?
—Tu tiens donc bien � ta v�g�tation? dit Barbicane.
—Je tiens, riposta Michel Ardan, � expliquer ce que vous autres savants vous n'expliquez pas! Au moins, mon hypoth�se aurait l'avantage d'indiquer pourquoi ces rainures disparaissent ou semblent dispara�tre � des �poques r�guli�res.
—Et par quelle raison?
—Par la raison que ces arbres deviennent invisibles lorsqu'ils perdent leurs feuilles, et visibles quand ils les reprennent.
—Ton explication est ing�nieuse, mon cher compagnon, r�pondit Barbicane, mais elle est inadmissible.
—Pourquoi?
—Parce qu'il n'y a, pour ainsi dire, pas de saison � la surface de la Lune, et que, par cons�quent, les ph�nom�nes de v�g�tation dont tu parles ne peuvent s'y produire.�
En effet, le peu d'obliquit� de l'axe lunaire y maintient le Soleil � une hauteur presque constante sous chaque latitude. Au-dessus des r�gions �quatoriales, l'astre radieux occupe presque invariablement le z�nith et ne d�passe gu�re la limite de l'horizon dans les r�gions polaires. Donc, suivant chaque r�gion, il r�gne un hiver, un printemps, un �t� ou un automne perp�tuels, ainsi que dans la plan�te Jupiter, dont l'axe est �galement peu inclin� sur son orbite.
A quelle origine rapporter ces rainures? Question difficile � r�soudre. Elles sont certainement post�rieures � la formation des crat�res et des cirques, car plusieurs s'y sont introduites en brisant leurs remparts circulaires. Il se peut donc que, contemporaines des derni�res �poques g�ologiques, elles ne soient dues qu'� l'expansion des forces naturelles.
Cependant, le projectile avait atteint la hauteur du quaranti�me degr� de latitude lunaire, � une distance qui ne devait pas exc�der huit cents kilom�tres. Les objets apparaissaient dans le champ des lunettes, comme s'ils eussent �t� plac�s � deux lieues seulement. A ce point, sous leurs pieds, se dressait l'H�licon, haut de cinq cent cinq m�tres, et sur la gauche s'arrondissaient ces hauteurs m�diocres qui enferment une petite portion de la mer des Pluies sous le nom de golfe des Iris.
L'atmosph�re terrestre devrait �tre cent soixante-dix fois plus transparente qu'elle ne l'est, pour permettre aux astronomes de faire des observations compl�tes � la surface de la Lune. Mais dans ce vide o� flottait le projectile, aucun fluide ne s'interposait entre l'œil de l'observateur et l'objet observ�. De plus, Barbicane se trouvait ramen� � une distance que n'avaient jamais donn�e les plus puissants t�lescopes, ni celui de John Ross, ni celui des montagnes Rocheuses. Il �tait donc dans des conditions extr�mement favorables pour r�soudre cette grande question de l'habitabilit� de la Lune. Cependant, cette solution lui �chappait encore. Il ne distinguait que le lit d�sert des immenses plaines et, vers le nord, d'arides montagnes. Pas un ouvrage ne trahissait la main de l'homme. Pas une ruine n'attestait son passage. Pas une agglom�ration d'animaux n'indiquait que la vie s'y d�velopp�t m�me � un degr� inf�rieur. Nulle part le mouvement, nulle part une apparence de v�g�tation. Des trois r�gnes qui se partagent le sph�ro�de terrestre, un seul �tait repr�sent� sur le globe lunaire: le r�gne min�ral.
�Ah ��! dit Michel Ardan d'un air un peu d�contenanc�, il n'y a donc personne?
—Non, r�pondit Nicholl, jusqu'ici. Pas un homme, pas un animal, pas un arbre. Apr�s tout, si l'atmosph�re s'est r�fugi�e au fond des cavit�s, � l'int�rieur des cirques, ou m�me sur la face oppos�e de la Lune, nous ne pouvons rien pr�juger.
—D'ailleurs, ajouta Barbicane, m�me pour la vue la plus per�ante, un homme n'est pas visible � une distance sup�rieure � sept kilom�tres. Donc s'il y a des S�l�nites, ils peuvent voir notre projectile, mais nous ne pouvons les voir.�
Vers quatre heures du matin, � la hauteur du cinquanti�me parall�le, la distance �tait r�duite � six cents kilom�tres. Sur la gauche se d�veloppait une ligne de montagnes capricieusement contourn�es, dessin�es en pleine lumi�re. Vers la droite, au contraire, se creusait un trou noir comme un vaste puits, insondable et sombre, for� dans le sol lunaire.
Ce trou, c'�tait le lac Noir, c'�tait Platon, cirque profond que l'on peut convenablement �tudier de la Terre, entre le dernier quartier et la Nouvelle-Lune, lorsque les ombres se projettent de l'ouest vers l'est.
Cette coloration noire se rencontre rarement � la surface du satellite. On ne l'a encore reconnue que dans les profondeurs du cirque d'Endymion, � l'est de la mer du Froid, dans l'h�misph�re nord, et au fond du cirque de Grimaldi, sur l'�quateur, vers le bord oriental de l'astre.
Platon est une montagne annulaire, situ�e par 51� de latitude nord et 9� de longitude est. Son cirque est long de quatre-vingt-douze kilom�tres et large de soixante et un. Barbicane regretta de ne point passer perpendiculairement au-dessus de sa vaste ouverture. Il y avait l� un ab�me � sonder, peut-�tre quelque myst�rieux ph�nom�ne � surprendre. Mais la marche du projectile ne pouvait �tre modifi�e. Il fallait rigoureusement la subir. On ne dirige point les ballons, encore moins les boulets, quand on est enferm� entre leurs parois.
Vers cinq heures du matin, la limite septentrionale de la mer des Pluies �tait enfin d�pass�e. Les monts La Condamine et Fontenelle restaient, l'un sur la gauche, l'autre sur la droite. Cette partie du disque, � partir du soixanti�me degr�, devenait absolument montagneuse. Les lunettes la rapprochaient � une lieue, distance inf�rieure � celle qui s�pare le sommet du mont Blanc du niveau de la mer. Toute cette r�gion �tait h�riss�e de pics et de cirques. Vers le soixante-dixi�me degr� dominait Philola�s, � une hauteur de trois mille sept cents m�tres, ouvrant un crat�re elliptique long de seize lieues, large de quatre.
Alors, le disque, vu de cette distance, offrait un aspect extr�mement bizarre. Les paysages se pr�sentaient au regard dans des conditions tr�s diff�rentes de ceux de la Terre, mais tr�s inf�rieures aussi.
La Lune n'ayant pas d'atmosph�re, cette absence d'enveloppe gazeuse a des cons�quences d�j� d�montr�es. Point de cr�puscule � sa surface, la nuit suivant le jour et le jour suivant la nuit, avec la brusquerie d'une lampe qui s'�teint ou s'allume au milieu d'une obscurit� profonde. Pas de transition du froid au chaud, la temp�rature tombant en un instant du degr� de l'eau bouillante au degr� des froids de l'espace.
Une autre cons�quence de cette absence d'air est celle-ci: c'est que les t�n�bres absolues r�gnent l� o� ne parviennent pas les rayons du Soleil. Ce qui s'appelle lumi�re diffuse sur la Terre, cette mati�re lumineuse que l'air tient en suspension, qui cr�e les cr�puscules et les aubes, qui produit les ombres, les p�nombres et toute cette magie du clair-obscur, n'existe pas sur la Lune. De l� une brutalit� de contrastes qui n'admet que deux couleurs, le noir et le blanc. Qu'un S�l�nite abrite ses yeux contre les rayons solaires, le ciel lui appara�t absolument noir, et les �toiles brillent � ses regards comme dans les nuits les plus sombres.
Que l'on juge de l'impression produite par cet �trange aspect sur Barbicane et sur ses deux amis. Leurs yeux �taient d�rout�s. Ils ne saisissaient plus la distance respective des divers plans. Un paysage lunaire que n'adoucit point le ph�nom�ne du clair-obscur, n'aurait pu �tre rendu par un paysagiste de la Terre. Des taches d'encre sur une page blanche, c'�tait tout.
Cet aspect ne se modifia pas, m�me quand le projectile, � la hauteur du quatre-vingti�me degr�, ne fut s�par� de la Lune que par une distance de cent kilom�tres. Pas m�me quand, � cinq heures du matin, il passa � moins de cinquante kilom�tres de la montagne de Gioja, distance que les lunettes r�duisaient � un demi-quart de lieue. Il semblait que la Lune p�t �tre touch�e avec la main. Il paraissait impossible que le boulet ne la heurt�t pas avant peu, ne f�t-ce qu'� son p�le nord, dont l'ar�te �clatante se dessinait violemment sur le fond noir du ciel. Michel Ardan voulait ouvrir un des hublots et se pr�cipiter vers la surface lunaire. Une chute de douze lieues! Il n'y regardait pas. Tentative inutile d'ailleurs, car si le projectile ne devait pas atteindre un point quelconque du satellite, Michel, emport� dans son mouvement, ne l'e�t pas atteint plus que lui.
En ce moment, � six heures, le p�le lunaire apparaissait. Le disque n'offrait plus aux regards des voyageurs qu'une moiti� violemment �clair�e, tandis que l'autre disparaissait dans les t�n�bres. Soudain, le projectile d�passa la ligne de d�marcation entre la lumi�re intense et l'ombre absolue, et fut subitement plong� dans une nuit profonde.
XIVLa nuit de trois cent cinquante-quatre heures et demie
Au moment o� se produisit si brusquement ce ph�nom�ne, le projectile rasait le p�le nord de la Lune � moins de cinquante kilom�tres. Quelques secondes lui avaient donc suffi pour se plonger dans les t�n�bres absolues de l'espace. La transition s'�tait si rapidement op�r�e, sans nuances, sans d�gradation de lumi�re, sans att�nuation des ondulations lumineuses, que l'astre semblait s'�tre �teint sous l'influence d'un souffle puissant.
�Fondue, disparue, la Lune!� s'�tait �cri� Michel Ardan tout �bahi.
En effet, ni un reflet, ni une ombre. Rien n'apparaissait plus de ce disque nagu�re �blouissant. L'obscurit� �tait compl�te et rendue plus profonde encore par le rayonnement des �toiles. C'�tait �ce noir� dont s'impr�gnent les nuits lunaires qui durent trois cent cinquante-quatre heures et demie pour chaque point du disque, longue nuit qui r�sulte de l'�galit� des mouvements de translation et de rotation de la Lune, l'un sur elle-m�me, l'autre autour de la Terre. Le projectile, immerg� dans le c�ne d'ombre du satellite, ne subissait pas plus l'action des rayons solaires qu'aucun des points de sa partie invisible.
A l'int�rieur, l'obscurit� �tait donc compl�te. On ne se voyait plus. De l�, n�cessit� de dissiper ces t�n�bres. Quelque d�sireux que f�t Barbicane de m�nager le gaz dont la r�serve �tait si restreinte, il dut lui demander une clart� factice, un �clat dispendieux que le Soleil lui refusait alors.
�Le diable soit de l'astre radieux! s'�cria Michel Ardan, qui va nous induire en d�pense de gaz au lieu de nous prodiguer gratuitement ses rayons.
—N'accusons pas le Soleil, reprit Nicholl. Ce n'est pas sa faute, mais bien la faute � la Lune qui est venue se placer comme un �cran entre nous et lui.
—C'est le Soleil! reprenait Michel.
—C'est la Lune!� ripostait Nicholl.
Une dispute oiseuse � laquelle Barbicane mit fin en disant:
�Mes amis, ce n'est ni la faute au Soleil, ni la faute � la Lune. C'est la faute au projectile qui, au lieu de suivre rigoureusement sa trajectoire, s'en est maladroitement �cart�. Et, pour �tre plus juste, c'est la faute � ce malencontreux bolide qui a si d�plorablement d�vi� notre direction premi�re.
—Bon! r�pondit Michel Ardan, puisque l'affaire est arrang�e, d�jeunons. Apr�s une nuit enti�re d'observations, il convient de se refaire un peu.�
Cette proposition ne trouva pas de contradicteurs. Michel, en quelques minutes, eut pr�par� le repas. Mais on mangea pour manger, on but sans porter de toasts, sans pousser de hurrahs. Les hardis voyageurs entra�n�s dans ces sombres espaces, sans leur cort�ge habituel de rayons, sentaient une vague inqui�tude leur monter au cœur. L'ombre �farouche�, si ch�re � la plume de Victor Hugo, les �treignait de toutes parts.
Cependant ils caus�rent de cette interminable nuit de trois cent cinquante-quatre heures, soit pr�s de quinze jours, que les lois physiques ont impos�e aux habitants de la Lune. Barbicane donna � ses amis quelques explications sur les causes et les cons�quences de ce curieux ph�nom�ne.
�Curieux � coup s�r, dit-il, car si chaque h�misph�re de la Lune est priv� de la lumi�re solaire pendant quinze jours, celui au-dessus duquel nous flottons en ce moment ne jouit m�me pas, pendant sa longue nuit, de la vue de la Terre splendidement �clair�e. En un mot, il n'y a de Lune—en appliquant cette qualification � notre sph�ro�de—que pour un c�t� du disque. Or, s'il en �tait ainsi pour la Terre, si par exemple l'Europe ne voyait jamais la Lune et qu'elle f�t visible seulement � ses antipodes, vous figurez-vous quel serait l'�tonnement d'un Europ�en qui arriverait en Australie?
—On ferait le voyage rien que pour aller voir la Lune! r�pondit Michel.
—Eh bien, reprit Barbicane, cet �tonnement est r�serv� au S�l�nite qui habite la face de la Lune oppos�e � la
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