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Book online «De la Terre à la Lune by Jules Verne (read the beginning after the end novel .TXT) 📗». Author Jules Verne



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Eh bien! raisonnons un peu. Savez-vous quel temps il faudrait � un train express pour atteindre la Lune? Trois cents jours. Pas davantage. Un trajet de quatre-vingt-six mille quatre cent dix lieues, mais qu'est-ce que cela? Pas m�me neuf fois le tour de la Terre, et il n'est point de marins ni de voyageurs un peu d�gourdis qui n'aient fait plus de chemin pendant leur existence. Songez donc que je ne serai que quatre-vingt-dix-sept heures en route! Ah! vous vous figurez que la Lune est �loign�e de la Terre et qu'il faut y regarder � deux fois avant de tenter l'aventure! Mais que diriez-vous donc s'il s'agissait d'aller � Neptune, qui gravite � onze cent quarante-sept millions de lieues du Soleil! Voil� un voyage que peu de gens pourraient faire, s'il co�tait seulement cinq sols par kilom�tre! Le baron de Rothschild lui-m�me, avec son milliard, n'aurait pas de quoi payer sa place, et faute de cent quarante-sept millions, il resterait en route!

Cette fa�on d'argumenter parut beaucoup plaire � l'assembl�e; d'ailleurs Michel Ardan, plein de son sujet, s'y lan�ait � corps perdu avec un entrain superbe; il se sentait avidement �cout�, et reprit avec une admirable assurance:

�Eh bien! mes amis, cette distance de Neptune au Soleil n'est rien encore, si on la compare � celle des �toiles; en effet, pour �valuer l'�loignement de ces astres, il faut entrer dans cette num�ration �blouissante o� le plus petit nombre a neuf chiffres, et prendre le milliard pour unit�. Je vous demande pardon d'�tre si ferr� sur cette question, mais elle est d'un int�r�t palpitant. �coutez et jugez! Alpha du Centaure est � huit mille milliards de lieues, V�ga � cinquante mille milliards, Sirius � cinquante mille milliards, Arcturus � cinquante-deux mille milliards, la Polaire � cent dix-sept mille milliards, la Ch�vre � cent soixante-dix mille milliards, les autres �toiles � des mille et des millions et des milliards de milliards de lieues! Et l'on viendrait parler de la distance qui s�pare les plan�tes du Soleil! Et l'on soutiendrait que cette distance existe! Erreur! fausset�! aberration des sens! Savez-vous ce que je pense de ce monde qui commence � l'astre radieux et finit � Neptune? Voulez-vous conna�tre ma th�orie? Elle est bien simple! Pour moi, le monde solaire est un corps solide, homog�ne; les plan�tes qui le composent se pressent, se touchent, adh�rent, et l'espace existant entre elles n'est que l'espace qui s�pare les mol�cules du m�tal le plus compacte, argent ou fer, or ou platine! J'ai donc le droit d'affirmer, et je r�p�te avec une conviction qui vous p�n�trera tous: �La distance est un vain mot, la distance n'existe pas!

—Bien dit! Bravo! Hurrah! s'�cria d'une seule voix l'assembl�e �lectris�e par le geste, par l'accent de l'orateur, par la hardiesse de ses conceptions.

—Non! s'�cria J.-T. Maston plus �nergiquement que les autres, la distance n'existe pas!

Et, emport� par la violence de ses mouvements, par l'�lan de son corps qu'il eut peine � ma�triser, il faillit tomber du haut de l'estrade sur le sol. Mais il parvint � retrouver son �quilibre, et il �vita une chute qui lui e�t brutalement prouv� que la distance n'�tait pas un vain mot. Puis le discours de l'entra�nant orateur reprit son cours.

�Mes amis, dit Michel Ardan, je pense que cette question est maintenant r�solue. Si je ne vous ai pas convaincus tous, c'est que j'ai �t� timide dans mes d�monstrations, faible dans mes arguments, et il faut en accuser l'insuffisance de mes �tudes th�oriques. Quoi qu'il en soit, je vous le r�p�te, la distance de la Terre � son satellite est r�ellement peu importante et indigne de pr�occuper un esprit s�rieux. Je ne crois donc pas trop m'avancer en disant qu'on �tablira prochainement des trains de projectiles, dans lesquels se fera commod�ment le voyage de la Terre � la Lune. Il n'y aura ni choc, ni secousse, ni d�raillement � craindre, et l'on atteindra le but rapidement, sans fatigue, en ligne droite, �� vol d'abeille�, pour parler le langage de vos trappeurs. Avant vingt ans, la moiti� de la Terre aura visit� la Lune!

—Hurrah! hurrah pour Michel Ardan! s'�cri�rent les assistants, m�me les moins convaincus.

—Hurrah pour Barbicane!� r�pondit modestement l'orateur.

Cet acte de reconnaissance envers le promoteur de l'entreprise fut accueilli par d'unanimes applaudissements.

�Maintenant, mes amis, reprit Michel Ardan, si vous avez quelque question � m'adresser, vous embarrasserez �videmment un pauvre homme comme moi, mais je t�cherai cependant de vous r�pondre.

Jusqu'ici, le pr�sident du Gun-Club avait lieu d'�tre tr�s satisfait de la tournure que prenait la discussion. Elle portait sur ces th�ories sp�culatives dans lesquelles Michel Ardan, entra�n� par sa vive imagination, se montrait fort brillant. Il fallait donc l'emp�cher de d�vier vers les questions pratiques, dont il se f�t moins bien tir�, sans doute. Barbicane se h�ta de prendre la parole, et il demanda � son nouvel ami s'il pensait que la Lune ou les plan�tes fussent habit�es.

�C'est un grand probl�me que tu me poses l�, mon digne pr�sident, r�pondit l'orateur en souriant; cependant, si je ne me trompe, des hommes de grande intelligence, Plutarque, Swedenborg, Bernardin de Saint-Pierre et beaucoup d'autres se sont prononc�s pour l'affirmative. En me pla�ant au point de vue de la philosophie naturelle, je serais port� � penser comme eux; je me dirais que rien d'inutile n'existe en ce monde, et, r�pondant � ta question par une autre question, ami Barbicane, j'affirmerais que si les mondes sont habitables, ou ils sont habit�s, ou ils l'ont �t�, ou ils le seront.

—Tr�s bien! s'�cri�rent les premiers rangs des spectateurs, dont l'opinion avait force de loi pour les derniers.

—On ne peut r�pondre avec plus de logique et de justesse, dit le pr�sident du Gun-Club. La question revient donc � celle-ci: Les mondes sont-ils habitables? Je le crois, pour ma part.

—Et moi, j'en suis certain, r�pondit Michel Ardan.

—Cependant, r�pliqua l'un des assistants, il y a des arguments contre l'habitabilit� des mondes. Il faudrait �videmment dans la plupart que les principes de la vie fussent modifi�s. Ainsi, pour ne parler que des plan�tes, on doit �tre br�l� dans les unes et gel� dans les autres, suivant qu'elles sont plus ou moins �loign�es du Soleil.

—Je regrette, r�pondit Michel Ardan, de ne pas conna�tre personnellement mon honorable contradicteur, car j'essaierais de lui r�pondre. Son objection a sa valeur, mais je crois qu'on peut la combattre avec quelque succ�s, ainsi que toutes celles dont l'habitabilit� des mondes a �t� l'objet. Si j'�tais physicien, je dirais que, s'il y a moins de calorique mis en mouvement dans les plan�tes voisines du Soleil, et plus, au contraire, dans les plan�tes �loign�es, ce simple ph�nom�ne suffit pour �quilibrer la chaleur et rendre la temp�rature de ces mondes supportable � des �tres organis�s comme nous le sommes. Si j'�tais naturaliste, je lui dirais, apr�s beaucoup de savants illustres, que la nature nous fournit sur la terre des exemples d'animaux vivant dans des conditions bien diverses d'habitabilit�; que les poissons respirent dans un milieu mortel aux autres animaux; que les amphibies ont une double existence assez difficile � expliquer; que certains habitants des mers se maintiennent dans les couches d'une grande profondeur et y supportent sans �tre �cras�s des pressions de cinquante ou soixante atmosph�res; que divers insectes aquatiques, insensibles � la temp�rature, se rencontrent � la fois dans les sources d'eau bouillante et dans les plaines glac�es de l'oc�an Polaire; enfin, qu'il faut reconna�tre � la nature une diversit� dans ses moyens d'action souvent incompr�hensible, mais non moins r�elle, et qui va jusqu'� la toute-puissance. Si j'�tais chimiste, je lui dirais que les a�rolithes, ces corps �videmment form�s en dehors du monde terrestre, ont r�v�l� � l'analyse des traces indiscutables de carbone; que cette substance ne doit son origine qu'� des �tres organis�s, et que, d'apr�s les exp�riences de Reichenbach, elle a d� �tre n�cessairement �animalis�e�. Enfin, si j'�tais th�ologien, je lui dirais que la R�demption divine semble, suivant saint Paul, s'�tre appliqu�e non seulement � la Terre, mais � tous les mondes c�lestes. Mais je ne suis ni th�ologien, ni chimiste, ni naturaliste, ni physicien. Aussi, dans ma parfaite ignorance des grandes lois qui r�gissent l'univers, je me borne � r�pondre: Je ne sais pas si les mondes sont habit�s, et, comme je ne le sais pas, je vais y voir!

L'adversaire des th�ories de Michel Ardan hasarda-t-il d'autres arguments? Il est impossible de le dire, car les cris fr�n�tiques de la foule eussent emp�ch� toute opinion de se faire jour. Lorsque le silence se fut r�tabli jusque dans les groupes les plus �loign�s, le triomphant orateur se contenta d'ajouter les consid�rations suivantes:

�Vous pensez bien, mes braves Yankees, qu'une si grande question est � peine effleur�e par moi; je ne viens point vous faire ici un cours public et soutenir une th�se sur ce vaste sujet. Il y a toute une autre s�rie d'arguments en faveur de l'habitabilit� des mondes. Je la laisse de c�t�. Permettez-moi seulement d'insister sur un point. Aux gens qui soutiennent que les plan�tes ne sont pas habit�es, il faut r�pondre: Vous pouvez avoir raison, s'il est d�montr� que la Terre est le meilleur des mondes possible, mais cela n'est pas, quoi qu'en ait dit Voltaire. Elle n'a qu'un satellite, quand Jupiter, Uranus, Saturne, Neptune, en ont plusieurs � leur service, avantage qui n'est point � d�daigner. Mais ce qui rend surtout notre globe peu confortable, c'est l'inclinaison de son axe sur son orbite. De l� l'in�galit� des jours et des nuits; de l� cette diversit� f�cheuse des saisons. Sur notre malheureux sph�ro�de, il fait toujours trop chaud ou trop froid; on y g�le en hiver, on y br�le en �t�; c'est la plan�te aux rhumes, aux coryzas et aux fluxions de poitrine, tandis qu'� la surface de Jupiter, par exemple, o� l'axe est tr�s peu inclin� [L'inclinaison de l'axe de Jupiter sur son orbite n'est que de 3� 5'.], les habitants pourraient jouir de temp�ratures invariables; il y a la zone des printemps, la zone des �t�s, la zone des automnes et la zone des hivers perp�tuels; chaque Jovien peut choisir le climat qui lui pla�t et se mettre pour toute sa vie � l'abri des variations de la temp�rature. Vous conviendrez sans peine de cette sup�riorit� de Jupiter sur notre plan�te, sans parler de ses ann�es, qui durent douze ans chacune! De plus, il est �vident pour moi que, sous ces auspices et dans ces conditions merveilleuses d'existence, les habitants de ce monde fortun� sont des �tres sup�rieurs, que les savants y sont plus savants, que les artistes y sont plus artistes, que les m�chants y sont moins m�chants, et que les bons y sont meilleurs. H�las! que manque-t-il � notre sph�ro�de pour atteindre cette perfection? Peu de chose! Un axe de rotation moins inclin� sur le plan de son orbite.

—Eh bien! s'�cria une voix imp�tueuse, unissons nos efforts, inventons des machines et redressons l'axe de la Terre!

Un tonnerre d'applaudissements �clata � cette proposition, dont l'auteur �tait et ne pouvait �tre que J.-T. Maston. Il est probable que le fougueux secr�taire avait �t� emport� par ses instincts d'ing�nieur � hasarder cette hardie proposition. Mais, il faut le dire—car c'est la v�rit�—, beaucoup l'appuy�rent de leurs cris, et sans doute, s'ils avaient eu le point d'appui r�clam� par Archim�de, les Am�ricains auraient construit un levier capable de soulever le monde et de redresser son axe. Mais le point d'appui, voil� ce qui manquait � ces t�m�raires m�caniciens.

N�anmoins, cette id�e ��minemment pratique� eut un succ�s �norme; la discussion fut suspendue pendant un bon quart d'heure, et longtemps, bien longtemps encore, on parla dans les �tats-Unis d'Am�rique de la proposition formul�e si �nergiquement par le secr�taire perp�tuel du Gun-Club.

XX

ATTAQUE ET RIPOSTE

Cet incident semblait devoir terminer la discussion. C'�tait le �mot de la fin�, et l'on n'e�t pas trouv� mieux. Cependant, quand l'agitation se fut calm�e, on entendit ces paroles prononc�es d'une voix forte et s�v�re:

�Maintenant que l'orateur a donn� une large part � la fantaisie, voudra-t-il bien rentrer dans son sujet, faire moins de th�ories et discuter la partie pratique de son exp�dition?

Tous les regards se dirig�rent vers le personnage qui parlait ainsi. C'�tait un homme maigre, sec, d'une figure �nergique, avec une barbe taill�e � l'am�ricaine qui foisonnait sous son menton. A la faveur des diverses agitations produites dans l'assembl�e, il avait peu � peu gagn� le premier rang des spectateurs. L�, les bras crois�s, l'œil brillant et hardi, il fixait imperturbablement le h�ros du meeting. Apr�s avoir formul� sa demande, il se tut et ne parut pas s'�mouvoir des milliers de regards qui convergeaient vers lui, ni du murmure d�sapprobateur excit� par ses paroles. La r�ponse se faisant attendre, il posa de nouveau sa question avec le m�me accent

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