Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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Autour, la plaine avait un aspect d�sol�. Rien d'aride comme ces reliefs, rien de triste comme ces ruines de montagnes, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, comme ces morceaux de pics et de monts qui jonchaient le sol! Le satellite semblait avoir �clat� en cet endroit.
Le projectile s'avan�ait toujours, et ce chaos ne se modifiait pas. Les cirques, les crat�res, les montagnes �boul�es, se succ�daient incessamment. Plus de plaines, plus de mers. Une Suisse, une Norv�ge interminables. Enfin, au centre de cette r�gion crevass�e, � son point culminant, la plus splendide montagne du disque lunaire, l'�blouissant Tycho, auquel la post�rit� conservera toujours le nom de l'illustre astronome du Danemark.
En observant la Pleine-Lune, dans un ciel sans nuages, il n'est personne qui n'ait remarqu� ce point brillant de l'h�misph�re sud. Michel Ardan, pour le qualifier, employa toutes les m�taphores que put lui fournir son imagination. Pour lui, ce Tycho, c'�tait un ardent foyer de lumi�re, un centre d'irradiation, un crat�re vomissant des rayons! C'�tait le moyeu d'une roue �tincelante, une ast�rie qui enserrait le disque de ses tentacules d'argent, un œil immense rempli de flammes, un nimbe taill� pour la t�te de Pluton! C'�tait comme une �toile lanc�e par la main du Cr�ateur, qui se serait �cras�e contre la face lunaire!
Tycho forme une telle concentration lumineuse, que les habitants de la Terre peuvent l'apercevoir sans lunette, quoiqu'ils en soient � une distance de cent mille lieues. Que l'on imagine alors quelle devait �tre son intensit� aux yeux d'observateurs plac�s � cent cinquante lieues seulement! A travers ce pur �ther, son �tincellement �tait tellement insoutenable, que Barbicane et ses amis durent noircir l'oculaire de leurs lorgnettes � la fum�e du gaz, afin de pouvoir en supporter l'�clat. Puis, muets, �mettant � peine quelques interjections admiratives, ils regard�rent, ils contempl�rent. Tous leurs sentiments, toutes leurs impressions se concentr�rent dans leur regard, comme la vie, qui, sous une �motion violente, se concentre tout enti�re au cœur.
Tycho appartient au syst�me des montagnes rayonnantes, comme Aristarque et Copernic. Mais de toutes la plus compl�te, la plus accentu�e, elle t�moigne irr�cusablement de cette effroyable action volcanique � laquelle est due la formation de la Lune.
Tycho est situ� par 43� de latitude m�ridionale, et par 12� de longitude est. Son centre est occup� par un crat�re large de quatre-vingt-sept kilom�tres. Il affecte une forme un peu elliptique, et se renferme dans une enceinte de remparts annulaires, qui, � l'est et � l'ouest, dominent la plaine ext�rieure d'une hauteur de cinq mille m�tres. C'est une agr�gation de monts Blancs, dispos�s autour d'un centre commun, et couronn�s d'une chevelure rayonnante.
Ce qu'est cette montagne incomparable, l'ensemble des reliefs qui convergent vers elle, les extumescences int�rieures de son crat�re, jamais la photographie elle-m�me n'a pu les rendre. En effet, c'est en Pleine-Lune que Tycho se montre dans toute sa splendeur. Or, les ombres manquent alors, les raccourcis de la perspective ont disparu, et l�s �preuves viennent blanches. Circonstance f�cheuse, car cette �trange r�gion e�t �t� curieuse � reproduire avec l'exactitude photographique. Ce n'est qu'une agglom�ration de trous, de crat�res, de cirques, un croisement vertigineux de cr�tes; puis, � perte de vue, tout un r�seau volcanique jet� sur ce sol pustuleux. On comprend alors que ces bouillonnements de l'�ruption centrale aient gard� leur forme premi�re. Cristallis�s par le refroidissement, ils ont st�r�otyp� cet aspect que pr�senta jadis la Lune sous l'influence des forces plutoniennes.
La distance qui s�parait les voyageurs des cimes annulaires de Tycho n'�tait pas tellement consid�rable qu'ils ne pussent en relever les principaux d�tails. Sur le remblai m�me qui forme la circonvallation de Tycho, les montagnes, s'accrochant sur les flancs des talus int�rieurs et ext�rieurs, s'�tageaient comme de gigantesques terrasses. Elles paraissaient plus �lev�es de trois � quatre cents pieds � l'ouest qu'� l'est. Aucun syst�me de castram�tation terrestre n'�tait comparable � cette fortification naturelle. Une ville, b�tie au fond de la cavit� circulaire, e�t �t� absolument inaccessible.
Inaccessible et merveilleusement �tendue sur ce sol accident� de ressauts pittoresques! La nature, en effet, n'avait pas laiss� plat et vide le fond de ce crat�re. Il poss�dait son orographie sp�ciale, un syst�me montagneux qui en faisait comme un monde � part. Les voyageurs distingu�rent nettement des c�nes, des collines centrales, de remarquables mouvements de terrain, naturellement dispos�s pour recevoir les chefs-d'œuvre de l'architecture s�l�nite. L� se dessinait la place d'un temple, ici l'emplacement d'un forum, en cet endroit, les soubassements d'un palais, en cet autre, le plateau d'une citadelle. Le tout domin� par une montagne centrale de quinze cents pieds. Vaste circuit, o� la Rome antique e�t tenu dix fois tout enti�re!
�Ah! s'�cria Michel Ardan, enthousiasm� � cette vue, quelle ville grandiose on construirait dans cet anneau de montagnes! Cit� tranquille, refuge paisible, plac� en dehors de toutes les mis�res humaines! Comme ils vivraient l�, calmes et isol�s, tous ces misanthropes, tous ces ha�sseurs de l'humanit�, tous ceux qui ont le d�go�t de la vie sociale!
—Tous! Ce serait trop petit pour eux!� r�pondit simplement Barbicane.
XVIIIQuestions graves
Cependant, le projectile avait d�pass� l'enceinte de Tycho. Barbicane et ses deux amis observ�rent alors avec la plus scrupuleuse attention ces raies brillantes que la c�l�bre montagne disperse si curieusement � tous les horizons.
Qu'�tait cette rayonnante aur�ole? Quel ph�nom�ne g�ologique avait dessin� cette chevelure ardente? Cette question pr�occupait � bon droit Barbicane.
Sous ses yeux, en effet, s'allongeaient dans toutes les directions des sillons lumineux � bords relev�s et � milieu concave, les uns larges de vingt kilom�tres, les autres larges de cinquante. Ces �clatantes tra�n�es couraient en de certains endroits jusqu'� trois cents lieues de Tycho, et semblaient couvrir, surtout vers l'est, le nord-est et le nord, la moiti� de l'h�misph�re m�ridional. L'un de ses jets s'�tendait jusqu'au cirque de N�andre, situ� sur le quaranti�me m�ridien. Un autre allait, en s'arrondissant, sillonner la mer du Nectar, et se briser contre la cha�ne des Pyr�n�es, apr�s un parcours de quatre cents lieues. D'autres, vers l'ouest, couvraient d'un r�seau lumineux la mer des Nu�es et la mer des Humeurs.
Quelle �tait l'origine de ces rayons �tincelants qui apparaissaient sur les plaines comme sur les reliefs, � quelque hauteur qu'ils fussent? Tous partaient d'un centre commun, le crat�re de Tycho. Ils �manaient de lui. Herschel attribue leur brillant aspect � d'anciens courants de lave fig�s par le froid, opinion qui n'a pas �t� adopt�e. D'autres astronomes ont vu dans ces inexplicables raies des sortes de moraines, des rang�es de blocs erratiques, qui auraient �t� projet�s � l'�poque de la formation de Tycho.
�Et pourquoi pas? demanda Nicholl � Barbicane, qui relatait ces diverses opinions en les repoussant.
—Parce que la r�gularit� de ces lignes lumineuses, et la violence n�cessaire pour porter � de telles distances les mati�res volcaniques, sont inexplicables.
—Eh parbleu! r�pondit Michel Ardan, il me para�t facile d'expliquer l'origine de ces rayons.
—Vraiment? fit Barbicane.
—Vraiment, reprit Michel. Il suffit de dire que c'est un vaste �toilement, semblable � celui que produit le choc d'une balle ou d'une pierre sur un carreau de vitre!
—Bon! r�pliqua Barbicane en souriant. Et quelle main e�t �t� assez puissante pour lancer la pierre qui a fait un pareil choc?
—La main n'est pas n�cessaire, r�pondit Michel, qui ne se d�montait pas, et, quant � la pierre, admettons que ce soit une com�te.
—Ah! les com�tes! s'�cria Barbicane, en abuse-t-on! Mon brave Michel, ton explication n'est pas mauvaise, mais ta com�te est inutile. Le choc qui a produit cette cassure peut �tre venu de l'int�rieur de l'astre. Une contraction violente de la cro�te lunaire, sous le retrait du refroidissement, a pu suffire � imprimer ce gigantesque �toilement.
—Va pour une concentration, quelque chose comme une colique lunaire, r�pondit Michel Ardan.
—D'ailleurs, ajouta Barbicane, cette opinion est celle d'un savant anglais, Nasmyth, et elle me semble expliquer suffisamment le rayonnement de ces montagnes.
—Ce Nasmyth n'est point un sot!� r�pondit Michel.
Longtemps les voyageurs, qu'un tel spectacle ne pouvait blaser, admir�rent les splendeurs de Tycho. Leur projectile, impr�gn� d'effluves lumineux, dans cette double irradiation du Soleil et de la Lune, devait appara�tre comme un globe incandescent. Ils �taient donc subitement pass�s d'un froid consid�rable � une chaleur intense. La nature les pr�parait ainsi � devenir S�l�nites.
Devenir S�l�nites! Cette id�e ramena encore une fois la question d'habitabilit� de la Lune. Apr�s ce qu'ils avaient vu, les voyageurs pouvaient-ils la r�soudre? Pouvaient-ils conclure pour ou contre? Michel Ardan provoqua ses deux amis � formuler leur opinion, et leur demanda carr�ment s'ils pensaient que l'animalit� et l'humanit� fussent repr�sent�es dans le monde lunaire.
�Je crois que nous pouvons r�pondre, dit Barbicane; mais, suivant moi, la question ne doit pas se pr�senter sous cette forme. Je demande � la poser autrement.
—A toi la pose, r�pondit Michel.
—Voici, reprit Barbicane. Le probl�me est double et exige une double solution. La Lune est-elle habitable? La Lune a-t-elle �t� habit�e?
—Bien, r�pondit Nicholl. Cherchons d'abord si la Lune est habitable.
—A vrai dire, je n'en sais rien, r�pliqua Michel.
—Et moi, je r�ponds n�gativement, reprit Barbicane. Dans l'�tat o� elle est actuellement, avec cette enveloppe atmosph�rique certainement tr�s r�duite, ses mers pour la plupart dess�ch�es, ses eaux insuffisantes, sa v�g�tation restreinte, ses brusques alternatives de chaud et de froid, ses nuits et ses jours de trois cent cinquante-quatre heures, la Lune ne me para�t pas habitable, et elle ne me semble pas propice au d�veloppement du r�gne animal, ni suffisante aux besoins de l'existence, telle que nous la comprenons.
—D'accord, r�pondit Nicholl. Mais la Lune n'est-elle pas habitable pour des �tres organis�s autrement que nous?
—A cette question, r�pliqua Barbicane, il est plus difficile de r�pondre. J'essayerai cependant, mais je demanderai � Nicholl si le mouvement lui para�t �tre le r�sultat n�cessaire de la vie, quelle que soit son organisation?
—Sans nul doute, r�pondit Nicholl.
—Eh bien, mon digne compagnon, je vous r�pondrai que nous avons observ� les continents lunaires � une distance de cinq cents m�tres au plus, et que rien ne nous a paru se mouvoir � la surface de la Lune. La pr�sence d'une humanit� quelconque se f�t trahie par des appropriations, par des constructions diverses, par des ruines m�me. Or, qu'avons-nous vu? Partout et toujours le travail g�ologique de la nature, jamais le travail de l'homme. Si donc les repr�sentants du r�gne animal existent sur la Lune, ils seraient donc enfouis dans ces insondables cavit�s que le regard ne peut atteindre. Ce que je ne puis admettre, car ils auraient laiss� des traces de leur passage sur ces plaines que doit recouvrir la couche atmosph�rique, si peu �lev�e qu'elle soit. Or, ces traces ne sont visibles nulle part. Reste donc la seule hypoth�se d'une race d'�tres vivants auxquels le mouvement, qui est la vie, serait �tranger!
—Autant dire des cr�atures vivantes qui ne vivraient pas, r�pliqua Michel.
—Pr�cis�ment, r�pondit Barbicane, ce qui pour nous n'a aucun sens.
—Alors, nous pouvons formuler notre opinion, dit Michel.
—Oui, r�pondit Nicholl.
—Eh bien, reprit Michel Ardan, la Commission scientifique, r�unie dans le projectile du Gun-Club, apr�s avoir appuy� son argumentation sur les faits nouvellement observ�s, d�cide � l'unanimit� des voix sur la question de l'habitabilit� actuelle de la Lune: Non, la Lune n'est pas habitable.�
Cette d�cision fut consign�e par le pr�sident Barbicane sur son carnet de notes o� figure le proc�s-verbal de la s�ance du 6 d�cembre.
�Maintenant, dit Nicholl, attaquons la seconde question, compl�ment indispensable de la premi�re. Je demanderai donc � l'honorable Commission: Si la Lune n'est pas habitable, a-t-elle �t� habit�e?
—Le citoyen Barbicane a la parole, dit Michel Ardan.
—Mes amis, r�pondit Barbicane, je n'ai pas attendu ce voyage pour me faire une opinion sur cette habitabilit� pass�e de notre satellite. J'ajouterai que nos observations personnelles ne peuvent que me confirmer dans cette opinion. Je crois, j'affirme m�me que la Lune a �t� habit�e par une race humaine organis�e comme la n�tre, qu'elle a produit des animaux conform�s anatomiquement comme les animaux terrestres, mais j'ajoute que ces races humaines ou animales ont fait leur temps, et qu'elles sont � jamais �teintes!
—Alors, demanda Michel, la Lune serait donc un monde plus vieux que la Terre?
—Non, r�pondit Barbicane avec conviction, mais un monde qui a vieilli plus vite, et dont la formation et la d�formation ont �t� plus rapides. Relativement, les forces organisatrices de la mati�re ont �t� beaucoup plus violentes � l'int�rieur de la Lune qu'� l'int�rieur du globe terrestre. L'�tat actuel de ce disque crevass�, tourment�, boursoufl�, le prouve surabondamment. La Lune et la Terre n'ont �t� que des masses gazeuses � leur origine. Ces gaz sont pass�s � l'�tat liquide sous diverses influences, et la masse solide s'est form�e plus tard. Mais tr�s certainement, notre sph�ro�de �tait gazeux ou liquide encore, que la Lune, d�j� solidifi�e par le refroidissement, devenait habitable.
—Je le crois, dit Nicholl.
—Alors, reprit Barbicane, une atmosph�re l'entourait. Les eaux, contenues par cette enveloppe gazeuse, ne pouvaient s'�vaporer. Sous l'influence de l'air, de l'eau, de la lumi�re, de la chaleur solaire, de la chaleur centrale, la v�g�tation s'emparait des continents pr�par�s � la recevoir, et certainement la vie se manifesta vers cette �poque, car la nature ne se d�pense pas en inutilit�s, et un monde si merveilleusement habitable a d� �tre n�cessairement habit�.
—Cependant, r�pondit Nicholl, bien des ph�nom�nes inh�rents aux mouvements de notre satellite devaient g�ner l'expansion des r�gnes v�g�tal et animal. Ces jours et ces nuits de trois cent cinquante-quatre heures par
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