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Book online «Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (the mitten read aloud txt) 📗». Author Jules Verne



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rien; mais te nourrira-t-il davantage à le manger de tes yeux? Tu fais là les raisonnements d'homme sans volonté, d'un être sans énergie!

—Ne désespérez-vous donc pas? m'écriai-je avec irritation.

—Non! répliqua fermement le professeur.

—Quoi! vous croyez encore à quelque chance de salut?

—Oui! certes oui! et tant que son coeur bat, tant que sa chair palpite, je n'admets pas qu'un être doué de volonté laisse en lui place au désespoir.»

Quelles paroles! L'homme qui les prononçait en de pareilles circonstances était certainement d'une trempe peu commune.

«Enfin, dis-je, que prétendez-vous faire?

—Manger ce qui reste de nourriture jusqu'à la dernière miette et réparer nos forces perdues. Ce repas sera notre dernier, soit! mais au moins, au lieu d'être épuisés, nous serons redevenus des hommes.

—Eh bien! dévorons!» m'écriai-je.

Mon oncle prit le morceau de viande et les quelques biscuits échappés au naufrage; il fit trois portions égales et les distribua. Cela faisait environ une livre d'aliments pour chacun. Le professeur mangea avidement, avec une sorte d'emportement fébrile; moi, sans plaisir, malgré ma faim, et presque avec dégoût; Hans, tranquillement, modérément, mâchant sans bruit de petites bouchées et les savourant avec le calme d'un homme que les soucis de l'avenir ne pouvaient inquiéter. Il avait, en furetant bien, retrouvé une gourde à demi pleine de genièvre; il nous l'offrit, et cette bienfaisante liqueur eut la force de me ranimer un peu.

«Förträfflig! dit Hans en buvant à son tour.

—Excellent!» riposta mon oncle.

J'avais repris quelque espoir. Mais notre dernier repas venait d'être achevé. Il était alors cinq heures du matin.

L'homme est ainsi fait, que sa santé est un effet purement négatif; une fois le besoin de manger satisfait, on se figure difficilement les horreurs de la faim; il faut les éprouver, pour les comprendre. Aussi, au sortir d'un long jeûne, quelques bouchées de biscuit et de viande triomphèrent de nos douleurs passées.

Cependant, après ce repas, chacun se laissa aller à ses réflexions. A quoi songeait Hans, cet homme de l'extrême Occident, que dominait la résignation fataliste des Orientaux? Pour mon compte, mes pensées n'étaient faites que de souvenirs, et ceux-ci me ramenaient à la surface de ce globe que je n'aurais jamais dû quitter. La maison de König-strasse, ma pauvre Graüben, la bonne Marthe, passèrent comme des visions devant mes yeux, et, dans les grondements lugubres qui couraient à travers le massif, je croyais surprendre le bruit des cités de la terre.

Pour mon oncle, «toujours à son affaire», la torche à la main, il examinait avec attention la nature des terrains; il cherchait à reconnaître sa situation par l'observation des couches superposées. Ce calcul, ou mieux cette estime, ne pouvait être que fort approximative; mais un savant est toujours un savant, quand il parvient à conserver son sang-froid, et certes, le professeur Lidenbrock possédait cette qualité à un degré peu ordinaire.

Je l'entendais murmurer des mots de la science géologique; je les comprenais, et je m'intéressais malgré moi à cette étude suprême.

«Granit éruptif, disait-il; nous sommes encore à l'époque primitive; mais nous montons! nous montons! Qui sait?»

Qui sait? Il espérait toujours. De sa main il tâtait la paroi verticale, et, quelques instants plus tard, il reprenait ainsi:

«Voilà les gneiss! voilà les micaschistes! Bon! à bientôt les terrains de l'époque de transition, et alors…»

Que voulait dire le professeur? Pouvait-il mesurer l'épaisseur de l'écorce terrestre suspendue sur notre tête? Possédait-il un moyen quelconque de faire ce calcul? Non. Le manomètre lui manquait, et nulle estime ne pouvait le suppléer.

Cependant la température s'accroissait dans une forte proportion et je me sentais baigné au milieu d'une atmosphère brûlante. Je ne pouvais la comparer qu'à la chaleur renvoyée par les fourneaux d'une fonderie à l'heure des coulées. Peu à peu, Hans, mon oncle et moi, nous avions dû quitter nos vestes et nos gilets; le moindre vêtement devenait une cause de malaise, pour ne pas dire de souffrances.

«Montons-nous donc vers un foyer incandescent? m'écriai-je, à un moment où la chaleur redoublait.

—Non, répondit mon oncle, c'est impossible! c'est impossible!

—Cependant, dis-je en tâtant la paroi, cette muraille est brûlante!»

Au moment où je prononçai ces paroles, ma main ayant effleuré l'eau, je dus la retirer au plus vite.

«L'eau est brûlante!» m'écriai-je.

Le professeur, cette fois, ne répondit que par un geste de colère.

Alors, une invincible épouvante s'empara de mon cerveau et ne le quitta plus. J'avais le sentiment d'une catastrophe prochaine, et telle que la plus audacieuse imagination n'aurait pu la concevoir. Une idée, d'abord vague, incertaine, se changeait en certitude dans mon esprit. Je la repoussai, mais elle revint avec obstination. Je n'osais la formuler. Cependant quelques observations involontaires déterminèrent ma conviction; à la lueur douteuse de la torche, je remarquai des mouvements désordonnés dans les couches granitiques; un phénomène allait évidemment se produire, dans lequel l'électricité jouait un rôle; puis cette chaleur excessive, cette eau bouillonnante!… Je résolus d'observer la boussole.

Elle était affolée!

XLIII

Oui, affolée! L'aiguille sautait d'un pôle à l'autre avec de brusques secousses, parcourait tous les points du cadran, et tournait, comme si elle eût été prise de vertige.

Je savais bien que, d'après les théories les plus acceptées, l'écorce minérale du globe, n'est jamais dans un état de repos absolu; les modifications amenées par la décomposition des matières internes, l'agitation provenant des grands courants liquides, l'action du magnétisme, tendent à l'ébranler incessamment, alors même que les êtres disséminés à sa surface ne soupçonnent pas son agitation. Ce phénomène ne m'aurait donc pas autrement effrayé, ou du moins il n'eût pas fait naître dans mon esprit une idée terrible.

Mais d'autres faits, certains détails sui generis, ne purent me tromper plus longtemps; les détonations se multipliaient avec une effrayante intensité; je ne pouvais les comparer qu'au bruit que feraient un grand nombre de chariots entraînés rapidement sur le pavé. C'était un tonnerre continu.

Puis, la boussole affolée, secouée par les phénomènes électriques, me confirmait dans mon opinion; l'écorce minérale menaçait de se rompre, les massifs granitiques de se rejoindre, la fissure de se combler, le vide de se remplir, et nous, pauvres atomes, nous allions être écrasés dans cette formidable étreinte.

«Mon oncle, mon oncle! m'écriai-je, nous sommes perdus!

—Quelle est cette nouvelle terreur? me répondit-il avec un calme surprenant. Qu'as-tu donc?

—Ce que j'ai! Observez ces murailles qui s'agitent, ce massif qui se disloque, cette chaleur torride, cette eau qui bouillonne, ces vapeurs qui s'épaississent, cette aiguille folle, tous les indices d'un tremblement de terre!»

Mon oncle secoua doucement la tête

«Un tremblement de terre? fit-il.

—Oui!

—Mon garçon, je crois que tu te trompes!

—Quoi! vous ne reconnaissez pas ces symptômes?

—D'un tremblement de terre? non! J'attends mieux que cela!

—Que voulez-vous dire?

—Une éruption, Axel.

—Une éruption! dis-je; nous sommes dans la cheminée d'un volcan en activité!

—Je le pense, dit le professeur en souriant, et c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux!»

De plus heureux! Mon oncle était-il donc devenu fou? Que signifiaient ces paroles? pourquoi ce calme et ce sourire?

«Comment! m'écriai-je, nous sommes pris dans une éruption! la fatalité nous a jetés sur le chemin des laves incandescentes, des roches en feu, des eaux bouillonnantes, de toutes les matières éruptives! nous allons être repoussés, expulsés, rejetés, vomis, lancés dans les airs avec les quartiers de rocs, les pluies de cendres et de scories, dans un tourbillon de flammes! et c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux!

—Oui, répondit le professeur en me regardant par-dessus ses lunettes, car c'est la seule chance que nous ayons de revenir à la surface de la terre!»

Je passe rapidement sur les mille idées qui se croisèrent dans mon cerveau. Mon oncle avait raison, absolument raison, et jamais il ne me parut ni plus audacieux ni plus convaincu qu'en ce moment, où il attendait et supputait avec calme les chances d'une éruption.

Cependant nous montions toujours; la nuit se passa dans ce mouvement ascensionnel; les fracas environnants redoublaient; j'étais presque suffoqué, je croyais toucher à ma dernière heure, et, pourtant, l'imagination est si bizarre, que je me livrai à une recherche véritablement enfantine. Mais je subissais mes pensées, je ne les dominais pas!

Il était évident que nous étions rejetés par une poussée éruptive; sous le radeau, il y avait des eaux bouillonnantes, et sous ces eaux toute une pâte de lave, un agrégat de roches qui, au sommet du cratère, se disperseraient en tous les sens. Nous étions donc dans la cheminée d'un volcan. Pas de doute à cet égard.

Mais cette fois, au lieu du Sneffels, volcan éteint, il s'agissait d'un volcan en pleine activité. Je me demandai donc quelle pouvait être cette montagne et dans quelle partie du monde nous allions être expulsés.

Dans les régions septentrionales, cela ne faisait aucun doute. Avant ses affolements, la boussole n'avait jamais varié à cet égard. Depuis le cap Saknussemm, nous avions été entraînés directement au nord pendant des centaines de lieues. Or, étions-nous revenus sous l'Islande? Devions-nous être rejetés par le cratère de l'Hécla ou par ceux des sept autres monts ignivomes de l'île? Dans un rayon de 500 lieues, à l'ouest, je ne voyais sous ce parallèle que les volcans mal connus de la côte nord-ouest de l'Amérique. Dans l'est un seul existait sous le quatre-vingtième degré de latitude, l'Esk, dans l'île de Jean Mayen, non loin du Spitzberg! Certes, les cratères ne manquaient pas, et ils se trouvaient assez spacieux pour vomir une armée tout entière! Mais lequel nous servirait d'issue, c'est ce que je cherchais à deviner.

Vers le matin, le mouvement d'ascension s'accéléra. Si la chaleur s'accrut, au lieu de diminuer, aux approches de la surface du globe, c'est quelle était toute locale et due à une influence volcanique. Notre genre de locomotion ne pouvait plus me laisser aucun doute dans l'esprit; une force énorme, une force de plusieurs centaines d'atmosphères, produite par les vapeurs accumulées dans le sein de la terre, nous poussait irrésistiblement. Mais à quels dangers innombrables elle nous exposait!

Bientôt des reflets fauves pénétrèrent dans la galerie verticale qui s'élargissait; j'apercevais à droite et à gauche des couloirs profonds semblables à d'immenses tunnels d'où s'échappaient des vapeurs épaisses; des langues de flammes en léchaient les parois en pétillant.

«Voyez! voyez, mon oncle! m'écriai-je.

—Eh bien! ce sont des flammes sulfureuses Rien de plus naturel dans une éruption.

—Mais si elles nous enveloppent?

—Elles ne nous envelopperont pas.

—Mais si nous étouffons?

—Nous n'étoufferons pas; la galerie s'élargit et, s'il le faut, nous abandonnerons le radeau pour nous abriter dans quelque crevasse.

—Et l'eau! et l'eau montante?

—Il n'y a plus d'eau, Axel, mais une sorte de pâte lavique qui nous soulève avec elle jusqu'à l'orifice du cratère.»

La colonne liquide avait effectivement disparu pour faire place à des matières éruptives assez denses, quoique bouillonnantes. La température devenait insoutenable, et un thermomètre exposé dans cette atmosphère eût marqué plus de soixante-dix degrés! La sueur m'inondait. Sans la rapidité de l'ascension, nous aurions été certainement étouffés.

Cependant le professeur ne donna pas suite à sa proposition d'abandonner le radeau, et il fit bien. Ces quelques poutres mal jointes offraient une surface solide, un point d'appui qui nous eût manqué partout ailleurs.

Vers huit heures du matin, un nouvel incident se produisit pour la première fois. Le mouvement ascensionnel cessa tout à coup. Le radeau demeura absolument immobile.

«Qu'est-ce donc? demandais-je, ébranlé par cet arrêt subit comme par un choc.

—Une halte, répondit mon oncle.

—Est-ce l'éruption qui se calme?

—J'espère bien que non.»

Je me levai. J'essayai de voir autour de moi. Peut-être le radeau, arrêté par une saillie de roc, opposait-il une résistance momentanée à la masse éruptive. Dans ce cas, il fallait se hâter de le dégager au plus vite.

Il n'en était rien. La colonne de cendres, de scories et de débris pierreux avait elle-même cessé de monter.

«Est-ce que l'éruption s'arrêterait? m'écriai-je.

—Ah! fît mon oncle les dents serrées, tu le crains, mon garçon; mais rassure-toi, ce moment de calme ne saurait se prolonger; voilà déjà cinq minutes qu'il dure, et avant peu nous reprendrons notre ascension vers l'orifice du cratère.»

Le professeur, en parlant ainsi, ne cessait de consulter son chronomètre, et il devait avoir encore raison dans ses pronostics. Bientôt le radeau fut repris d'un mouvement rapide et désordonné qui dura deux minutes à peu près, et il s'arrêta de nouveau.

«Bon, fît mon oncle en observant l'heure, dans dix minutes

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