bookssland.com » Fiction » L'île mystérieuse by Jules Verne (me reader txt) 📗

Book online «L'île mystérieuse by Jules Verne (me reader txt) 📗». Author Jules Verne



1 ... 35 36 37 38 39 40 41 42 43 ... 88
Go to page:
propriétaires du lieu de mille contorsions et grimaces.

«Je savais bien que ce n'était qu'une farce! s'écria Pencroff, mais voilà un des farceurs qui payera pour les autres!»

Le marin, épaulant son fusil, ajusta rapidement un des singes, et fit feu. Tous disparurent, sauf l'un d'eux, qui, mortellement frappé, fut précipité sur la grève.

Ce singe, de haute taille, appartenait au premier ordre des quadrumanes, on ne pouvait s'y tromper. Que ce fût un chimpanzé, un orang, un gorille ou un gibbon, il prenait rang parmi ces anthropomorphes, ainsi nommés à cause de leur ressemblance avec les individus de race humaine. D'ailleurs, Harbert déclara que c'était un orang-outang, et l'on sait que le jeune garçon se connaissait en zoologie.

«La magnifique bête! s'écria Nab.

— Magnifique, tant que tu voudras! répondit Pencroff, mais je ne vois pas encore comment nous pourrons rentrer chez nous!

— Harbert est bon tireur, dit le reporter, et son arc est là! Qu'il recommence...

— Bon! Ces singes-là sont malins! s'écria Pencroff, et ils ne se remettront pas aux fenêtres, et nous ne pourrons pas les tuer, et quand je pense aux dégâts qu'ils peuvent commettre dans les chambres, dans le magasin...

— De la patience, répondit Cyrus Smith. Ces animaux ne peuvent nous tenir longtemps en échec!

— Je n'en serai sûr que quand ils seront à terre, répondit le marin. Et d'abord, savez-vous, Monsieur Smith, combien il y en a de douzaines, là-haut, de ces farceurs-là?»

Il eût été difficile de répondre à Pencroff, et quant à recommencer la tentative du jeune garçon, c'était peu aisé, car l'extrémité inférieure de l'échelle avait été ramenée en dedans de la porte, et, quand on hala de nouveau sur la corde, la corde cassa et l'échelle ne retomba point.

Le cas était véritablement embarrassant. Pencroff rageait. La situation avait un certain côté comique, qu'il ne trouvait pas drôle du tout, pour sa part.

Il était évident que les colons finiraient par réintégrer leur domicile et en chasser les intrus, mais quand et comment? Voilà ce qu'ils n'auraient pu dire. Deux heures se passèrent, pendant lesquelles les singes évitèrent de se montrer; mais ils étaient toujours là, et trois ou quatre fois, un museau ou une patte se glissèrent par la porte ou les fenêtres, qui furent salués de coups de fusil.

«Dissimulons-nous, dit alors l'ingénieur. Peut-être les singes nous croiront-ils partis et se laisseront-ils voir de nouveau. Mais que Spilett et Harbert s'embusquent derrière les roches, et feu sur tout ce qui apparaîtra.»

Les ordres de l'ingénieur furent exécutés, et, pendant que le reporter et le jeune garçon, les deux plus adroits tireurs de la colonie, se postaient à bonne portée, mais hors de la vue des singes, Nab, Pencroff et Cyrus Smith gravissaient le plateau et gagnaient la forêt pour tuer quelque gibier, car l'heure du déjeuner était venue, et, en fait de vivres, il ne restait plus rien. Au bout d'une demi-heure, les chasseurs revinrent avec quelques pigeons de roche, que l'on fit rôtir tant bien que mal. Pas un singe n'avait reparu.

Gédéon Spilett et Harbert allèrent prendre leur part du déjeuner, pendant que Top veillait sous les fenêtres. Puis, après avoir mangé, ils retournèrent à leur poste. Deux heures plus tard, la situation ne s'était encore aucunement modifiée. Les quadrumanes ne donnaient plus aucun signe d'existence, et c'était à croire qu'ils avaient disparu; mais ce qui paraissait le plus probable, c'est qu'effrayés par la mort de l'un d'eux, épouvantés par les détonations des armes, ils se tenaient cois au fond des chambres de Granite-House, ou même dans le magasin. Et quand on songeait aux richesses que renfermait ce magasin, la patience, tant recommandée par l'ingénieur, finissait par dégénérer en violente irritation, et, franchement, il y avait de quoi.

«Décidément, c'est trop bête, dit enfin le reporter, et il n'y a vraiment pas de raison pour que cela finisse!

— Il faut pourtant faire déguerpir ces chenapans-là! s'écria Pencroff. Nous en viendrions bien à bout, quand même ils seraient une vingtaine, mais, pour cela, il faut les combattre corps à corps! Ah çà! N'y a-t-il donc pas un moyen d'arriver jusqu'à eux?

— Si, répondit alors l'ingénieur, dont une idée venait de traverser l'esprit.

— Un? dit Pencroff. Eh bien, c'est le bon, puisqu'il n'y en a pas d'autres! Et quel est-il?

— Essayons de redescendre à Granite-House par l'ancien déversoir du lac, répondit l'ingénieur.

— Ah! Mille et mille diables! s'écria le marin. Et je n'ai pas pensé à cela!»

C'était, en effet, le seul moyen de pénétrer dans Granite-House, afin d'y combattre la bande et de l'expulser. L'orifice du déversoir était, il est vrai, fermé par un mur de pierres cimentées, qu'il serait nécessaire de sacrifier, mais on en serait quitte pour le refaire. Heureusement, Cyrus Smith n'avait pas encore effectué son projet de dissimuler cet orifice en le noyant sous les eaux du lac, car alors l'opération eût demandé un certain temps.

Il était déjà plus de midi, quand les colons, bien armés et munis de pics et de pioches, quittèrent les Cheminées, passèrent sous les fenêtres de Granite-House, après avoir ordonné à Top de rester à son poste, et se disposèrent à remonter la rive gauche de la Mercy, afin de gagner le plateau de Grande-vue.

Mais ils n'avaient pas fait cinquante pas dans cette direction, qu'ils entendirent les aboiements furieux du chien. C'était comme un appel désespéré.

Ils s'arrêtèrent.

«Courons!» dit Pencroff.

Et tous de redescendre la berge à toutes jambes.

Arrivés au tournant, ils virent que la situation avait changé. En effet, les singes, pris d'un effroi subit, provoqué par quelque cause inconnue, cherchaient à s'enfuir. Deux ou trois couraient et sautaient d'une fenêtre à l'autre avec une agilité de clowns. Ils ne cherchaient même pas à replacer l'échelle, par laquelle il leur eût été facile de descendre, et, dans leur épouvante, peut-être avaient-ils oublié ce moyen de déguerpir. Bientôt, cinq ou six furent en position d'être tirés, et les colons, les visant à l'aise, firent feu. Les uns, blessés ou tués, retombèrent au dedans des chambres, en poussant des cris aigus. Les autres, précipités au dehors, se brisèrent dans leur chute, et, quelques instants après, on pouvait supposer qu'il n'y avait plus un quadrumane vivant dans Granite-House.

«Hurrah! s'écria Pencroff, hurrah! Hurrah!

— Pas tant de hurrahs! dit Gédéon Spilett.

— Pourquoi? Ils sont tous tués, répondit le marin.

— D'accord, mais cela ne nous donne pas le moyen de rentrer chez nous.

— Allons au déversoir! répliqua Pencroff.

— Sans doute, dit l'ingénieur. Cependant, il eût été préférable...»

En ce moment, et comme une réponse faite à l'observation de Cyrus Smith, on vit l'échelle glisser sur le seuil de la porte, puis se dérouler et retomber jusqu'au sol.

«Ah! Mille pipes! Voilà qui est fort! s'écria le marin en regardant Cyrus Smith.

— Trop fort! murmura l'ingénieur, qui s'élança le premier sur l'échelle.

— Prenez garde, Monsieur Cyrus! s'écria Pencroff, s'il y a encore quelques-uns de ces sagouins...

— Nous verrons bien», répondit l'ingénieur sans s'arrêter.

Tous ses compagnons le suivirent, et, en une minute, ils étaient arrivés au seuil de la porte.

On chercha partout. Personne dans les chambres, ni dans le magasin qui avait été respecté par la bande des quadrumanes.

«Ah çà, et l'échelle? s'écria le marin. Quel est donc le gentleman qui nous l'a renvoyée?»

Mais, en ce moment, un cri se fit entendre, et un grand singe, qui s'était réfugié dans le couloir, se précipita dans la salle, poursuivi par Nab.

«Ah! Le bandit!» s'écria Pencroff.

Et la hache à la main, il allait fendre la tête de l'animal, lorsque Cyrus Smith l'arrêta et lui dit:

«Épargnez-le, Pencroff.

— Que je fasse grâce à ce moricaud?

— Oui! C'est lui qui nous a jeté l'échelle!»

Et l'ingénieur dit cela d'une voix si singulière, qu'il eût été difficile de savoir s'il parlait sérieusement ou non.

Néanmoins, on se jeta sur le singe, qui, après s'être défendu vaillamment, fut terrassé et garrotté.

«Ouf! s'écria Pencroff. Et qu'est-ce que nous en ferons maintenant?

— Un domestique!» répondit Harbert.

Et en parlant ainsi, le jeune garçon ne plaisantait pas tout à fait, car il savait le parti que l'on peut tirer de cette race intelligente des quadrumanes.

Les colons s'approchèrent alors du singe et le considérèrent attentivement. Il appartenait bien à cette espèce des anthropomorphes dont l'angle facial n'est pas sensiblement inférieur à celui des australiens et des hottentots. C'était un orang, et qui, comme tel, n'avait ni la férocité du babouin, ni l'irréflexion du macaque, ni la malpropreté du sagouin, ni les impatiences du magot, ni les mauvais instincts du cynocéphale. C'est à cette famille des anthropomorphes que se rapportent tant de traits qui indiquent chez ces animaux une intelligence quasi-humaine. Employés dans les maisons, ils peuvent servir à table, nettoyer les chambres, soigner les habits, cirer les souliers, manier adroitement le couteau, la cuiller et la fourchette, et même boire le vin... tout aussi bien que le meilleur domestique à deux pieds sans plumes. On sait que Buffon posséda un de ces singes, qui le servit longtemps comme un serviteur fidèle et zélé.

Celui qui était alors garrotté dans la salle de Granite-House était un grand diable, haut de six pieds, corps admirablement proportionné, poitrine large, tête de grosseur moyenne, angle facial atteignant soixante-cinq degrés, crâne arrondi, nez saillant, peau recouverte d'un poil poli, doux et luisant, — enfin un type accompli des anthropomorphes. Ses yeux, un peu plus petits que des yeux humains, brillaient d'une intelligente vivacité; ses dents blanches resplendissaient sous sa moustache, et il portait une petite barbe frisée de couleur noisette.

«Un beau gars! dit Pencroff. Si seulement on connaissait sa langue, on pourrait lui parler!

— Ainsi, dit Nab, c'est sérieux, mon maître? Nous allons le prendre comme domestique?

— Oui, Nab, répondit en souriant l'ingénieur. Mais ne sois pas jaloux!

— Et j'espère qu'il fera un excellent serviteur, ajouta Harbert. Il paraît jeune, son éducation sera facile, et nous ne serons pas obligés, pour le soumettre, d'employer la force, ni de lui arracher les canines, comme on fait en pareille circonstance! Il ne peut que s'attacher à des maîtres qui seront bons pour lui.

— Et on le sera», répondit Pencroff, qui avait oublié toute sa rancune contre «les farceurs.»

Puis, s'approchant de l'orang:

«Eh bien, mon garçon, lui demanda-t-il, comment cela va-t-il?»

L'orang répondit par un petit grognement qui ne dénotait pas trop de mauvaise humeur.

«Nous voulons donc faire partie de la colonie? demanda le marin. Nous allons donc entrer au service de M Cyrus Smith?»

Nouveau grognement approbateur du singe.

«Et nous nous contenterons de notre nourriture pour tout gage?»

Troisième grognement affirmatif.

«Sa conversation est un peu monotone, fit observer Gédéon Spilett.

— Bon! répliqua Pencroff, les meilleurs domestiques sont ceux qui parlent le moins. Et puis, pas de gages! — entendez-vous, mon garçon? Pour commencer, nous ne vous donnerons pas de gages, mais nous les doublerons plus tard, si nous sommes contents de vous!»

C'est ainsi que la colonie s'accrut d'un nouveau membre, qui devait lui rendre plus d'un service.

Quant au nom dont on l'appellerait, le marin demanda qu'en souvenir d'un autre singe qu'il avait connu, il fût appelé Jupiter, et Jup par abréviation.

Et voilà comme, sans plus de façons, maître Jup fut installé à Granite-House.

CHAPITRE VII

Les colons de l'île Lincoln avaient donc reconquis leur domicile, sans avoir été obligés de suivre l'ancien déversoir, ce qui leur épargna des travaux de maçonnerie. Il était heureux, en vérité, qu'au moment où ils se disposaient à le faire, la bande de singes eût été prise d'une terreur, non moins subite qu'inexplicable, qui les avait chassés de Granite-House. Ces animaux avaient-ils donc pressenti qu'un assaut sérieux allait leur être donné par une autre voie? C'était à peu près la seule façon d'interpréter leur mouvement de retraite.

Pendant les dernières heures de cette journée, les cadavres des singes furent transportés dans le bois, où on les enterra; puis, les colons s'employèrent à réparer le désordre causé par les intrus, — désordre et non dégât, car s'ils avaient bouleversé le mobilier des chambres, du moins n'avaient-ils rien brisé.

Nab ralluma ses fourneaux, et les réserves de l'office fournirent un repas substantiel auquel tous firent largement honneur.

Jup ne fut point oublié, et il mangea avec appétit des amandes de pignon et des racines de rhyomes, dont il se vit abondamment approvisionné. Pencroff avait délié ses bras, mais il jugea convenable de lui laisser les entraves aux jambes jusqu'au moment où il pourrait compter sur sa résignation.

Puis, avant de se coucher, Cyrus Smith et ses compagnons, assis autour de la table, discutèrent quelques projets dont l'exécution était urgente.

Les plus importants et les plus pressés étaient l'établissement d'un pont sur la Mercy, afin de mettre la partie sud de l'île en communication avec Granite-House, puis la fondation d'un corral, destiné au logement des mouflons ou autres animaux à laine qu'il convenait de capturer.

On le voit, ces deux projets tendaient à résoudre la question des vêtements, qui était alors la plus sérieuse. En effet, le pont rendrait facile le transport de l'enveloppe du ballon, qui donnerait le linge, et le corral devait fournir la récolte de laine, qui donnerait les vêtements d'hiver.

Quant à ce corral, l'intention de Cyrus Smith était de l'établir aux sources mêmes du Creek-Rouge, là où les ruminants trouveraient des pâturages qui leur procureraient une nourriture fraîche et abondante. Déjà la route entre le plateau de Grande-vue et

1 ... 35 36 37 38 39 40 41 42 43 ... 88
Go to page:

Free e-book «L'île mystérieuse by Jules Verne (me reader txt) 📗» - read online now

Comments (0)

There are no comments yet. You can be the first!
Add a comment