L'île mystérieuse by Jules Verne (me reader txt) 📗
- Author: Jules Verne
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Et pourtant le document était formel: il y avait un naufragé, et ce naufragé aurait dû être aux aguets!
Cependant le Bonadventure s'aventurait entre des passes assez capricieuses que les récifs laissaient entre eux et dont Pencroff observait les moindres sinuosités avec la plus extrême attention. Il avait mis Harbert au gouvernail, et, posté à l'avant, il examinait les eaux, prêt à amener sa voile, dont il tenait la drisse en main. Gédéon Spilett, la lunette aux yeux, parcourait tout le rivage sans rien apercevoir. Enfin, à midi à peu près, le Bonadventure vint heurter de son étrave une grève de sable. L'ancre fut jetée, les voiles amenées, et l'équipage de la petite embarcation prit terre.
Et il n'y avait pas à douter que ce fût bien l'île Tabor, puisque, d'après les cartes les plus récentes, il n'existait aucune autre île sur cette portion du Pacifique, entre la Nouvelle-Zélande et la côte américaine.
L'embarcation fut solidement amarrée, afin que le reflux de la mer ne pût l'emporter; puis, Pencroff et ses deux compagnons, après s'être bien armés, remontèrent le rivage, afin de gagner une espèce de cône, haut de deux cent cinquante à trois cents pieds, qui s'élevait à un demi-mille.
«Du sommet de cette colline, dit Gédéon Spilett, nous pourrons sans doute avoir une connaissance sommaire de l'îlot, ce qui facilitera nos recherches.
— C'est faire ici, répondit Harbert, ce que M Cyrus a fait tout d'abord à l'île Lincoln, en gravissant le mont Franklin.
— Identiquement, répondit le reporter, et c'est la meilleure manière de procéder!»
Tout en causant, les explorateurs s'avançaient en suivant la lisière d'une prairie qui se terminait au pied même du cône. Des bandes de pigeons de roche et d'hirondelles de mer, semblables à ceux de l'île Lincoln, s'envolaient devant eux. Sous le bois qui longeait la prairie à gauche, ils entendirent des frémissements de broussailles, ils entrevirent des remuements d'herbes qui indiquaient la présence d'animaux très fuyards; mais rien jusqu'alors n'indiquait que l'îlot fût habité.
Arrivés au pied du cône, Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett le gravirent en quelques instants, et leurs regards parcoururent les divers points de l'horizon.
Ils étaient bien sur un îlot, qui ne mesurait pas plus de six milles de tour, et dont le périmètre, peu frangé de caps ou de promontoires, peu creusé d'anses ou de criques, présentait la forme d'un ovale allongé. Tout autour, la mer, absolument déserte, s'étendait jusqu'aux limites du ciel. Il n'y avait pas une terre, pas une voile en vue!
Cet îlot, boisé sur toute sa surface, n'offrait pas cette diversité d'aspect de l'île Lincoln, aride et sauvage sur une partie, mais fertile et riche sur l'autre. Ici, c'était une masse uniforme de verdure, que dominaient deux ou trois collines peu élevées. Obliquement à l'ovale de l'îlot, un ruisseau coulait à travers une large prairie et allait se jeter à la mer sur la côte occidentale par une étroite embouchure.
«Le domaine est restreint, dit Harbert.
— Oui, répondit Pencroff, c'eût été un peu petit pour nous!
— Et de plus, répondit le reporter, il semble inhabité.
— En effet, répondit Harbert, rien n'y décèle la présence de l'homme.
— Descendons, dit Pencroff, et cherchons.»
Le marin et ses deux compagnons revinrent au rivage, à l'endroit où ils avaient laissé le Bonadventure.
Ils avaient décidé de faire à pied le tour de l'îlot, avant de s'aventurer à l'intérieur, de telle façon que pas un point n'échappât à leurs investigations.
La grève était facile à suivre, et, en quelques endroits seulement, de grosses roches la coupaient, que l'on pouvait facilement tourner. Les explorateurs descendirent vers le sud, en faisant fuir de nombreuses bandes d'oiseaux aquatiques et des troupeaux de phoques qui se jetaient à la mer du plus loin qu'ils les apercevaient.
«Ces bêtes-là, fit observer le reporter, n'en sont pas à voir des hommes pour la première fois. Ils les craignent, donc ils les connaissent.»
Une heure après leur départ, tous trois étaient arrivés à la pointe sud de l'îlot, terminée par un cap aigu, et ils remontèrent vers le nord en longeant la côte occidentale, également formée de sable et de roches, que d'épais bois bordaient en arrière-plan.
Nulle part il n'y avait trace d'habitation, nulle part l'empreinte d'un pied humain, sur tout ce périmètre de l'îlot, qui, après quatre heures de marche, fut entièrement parcouru.
C'était au moins fort extraordinaire, et on devait croire que l'île Tabor n'était pas ou n'était plus habitée. Peut-être, après tout, le document avait-il plusieurs mois ou plusieurs années de date déjà, et il était possible, dans ce cas, ou que le naufragé eût été rapatrié, ou qu'il fût mort de misère.
Pencroff, Gédéon Spilett et Harbert, formant des hypothèses plus ou moins plausibles, dînèrent rapidement à bord du Bonadventure, de manière à reprendre leur excursion et à la continuer jusqu'à la nuit.
C'est ce qui fut fait à cinq heures du soir, heure à laquelle ils s'aventurèrent sous bois. De nombreux animaux s'enfuirent à leur approche, et principalement, on pourrait même dire uniquement, des chèvres et des porcs, qui, il était facile de le voir, appartenaient aux espèces européennes. Sans doute quelque baleinier les avait débarqués sur l'île, où ils s'étaient rapidement multipliés.
Harbert se promit bien d'en prendre un ou deux couples vivants, afin de les rapporter à l'île Lincoln.
Il n'était donc plus douteux que des hommes, à une époque quelconque, eussent visité cet îlot. Et cela parut plus évident encore, quand, à travers la forêt, apparurent des sentiers tracés, des troncs d'arbres abattus à la hache, et partout la marque du travail humain; mais ces arbres, qui tombaient en pourriture, avaient été renversés depuis bien des années déjà, les entailles de hache étaient veloutées de mousse, et les herbes croissaient, longues et drues, à travers les sentiers, qu'il était malaisé de reconnaître.
«Mais, fit observer Gédéon Spilett, cela prouve que non seulement des hommes ont débarqué sur cet îlot, mais encore qu'ils l'ont habité pendant un certain temps. Maintenant, quels étaient ces hommes? Combien étaient-ils? Combien en reste-t-il?
— Le document, dit Harbert, ne parle que d'un seul naufragé.
— Eh bien, s'il est encore sur l'île, répondit Pencroff, il est impossible que nous ne le trouvions pas!»
L'exploration continua donc. Le marin et ses compagnons suivirent naturellement la route qui coupait diagonalement l'îlot, et ils arrivèrent ainsi à côtoyer le ruisseau qui se dirigeait vers la mer.
Si les animaux d'origine européenne, si quelques travaux dus à une main humaine démontraient incontestablement que l'homme était déjà venu sur cette île, plusieurs échantillons du règne végétal ne le prouvèrent pas moins. En de certains endroits, au milieu de clairières, il était visible que la terre avait été plantée de plantes potagères à une époque assez reculée probablement. Aussi, quelle fut la joie d'Harbert quand il reconnut des pommes de terre, des chicorées, de l'oseille, des carottes, des choux, des navets, dont il suffisait de recueillir la graine pour enrichir le sol de l'île Lincoln!
«Bon! Bien! répondit Pencroff. Cela fera joliment l'affaire de Nab et la nôtre. Si donc nous ne retrouvons pas le naufragé, du moins notre voyage n'aura pas été inutile, et Dieu nous aura récompensés!
— Sans doute, répondit Gédéon Spilett; mais à voir l'état dans lequel se trouvent ces plantations, on peut craindre que l'îlot ne soit plus habité depuis longtemps.
— En effet, répondit Harbert, un habitant, quel qu'il fût, n'aurait pas négligé une culture si importante!
— Oui! dit Pencroff, ce naufragé est parti!... cela est à supposer...
— Il faut donc admettre que le document a une date déjà ancienne?
— Évidemment.
— Et que cette bouteille n'est arrivée à l'île Lincoln qu'après avoir longtemps flotté sur la mer?
— Pourquoi pas? répondit Pencroff. — mais voici la nuit qui vient, ajouta-t-il, et je pense qu'il vaut mieux suspendre nos recherches.
— Revenons à bord, et demain nous recommencerons», dit le reporter.
C'était le plus sage, et le conseil allait être suivi, quand Harbert, montrant une masse confuse entre les arbres, s'écria:
«Une habitation!» aussitôt, tous trois se dirigèrent vers l'habitation indiquée. Aux lueurs du crépuscule, il fut possible de voir qu'elle avait été construite en planches recouvertes d'une épaisse toile goudronnée.
La porte, à demi fermée, fut repoussée par Pencroff, qui entra d'un pas rapide... l'habitation était vide!
CHAPITRE XIVPencroff, Harbert et Gédéon Spilett étaient restés silencieux au milieu de l'obscurité.
Pencroff appela d'une voix forte. Aucune réponse ne lui fut faite.
Le marin battit alors le briquet et alluma une brindille. Cette lumière éclaira pendant un instant une petite salle, qui parut être absolument abandonnée. Au fond était une cheminée grossière, avec quelques cendres froides, supportant une brassée de bois sec. Pencroff y jeta la brindille enflammée, le bois pétilla et donna une vive lueur.
Le marin et ses deux compagnons aperçurent alors un lit en désordre, dont les couvertures, humides et jaunies, prouvaient qu'il ne servait plus depuis longtemps; dans un coin de la cheminée, deux bouilloires couvertes de rouille et une marmite renversée; une armoire, avec quelques vêtements de marin à demi moisis; sur la table, un couvert d'étain et une bible rongée par l'humidité; dans un angle, quelques outils, pelle, pioche, pic, deux fusils de chasse, dont l'un était brisé; sur une planche formant étagère, un baril de poudre encore intact, un baril de plomb et plusieurs boîtes d'amorces; le tout couvert d'une épaisse couche de poussière, que de longues années, peut-être, avaient accumulée.
«Il n'y a personne, dit le reporter.
— Personne! répondit Pencroff.
— Voilà longtemps que cette chambre n'a été habitée, fit observer Harbert.
— Oui, bien longtemps! répondit le reporter.
— Monsieur Spilett, dit alors Pencroff, au lieu de retourner à bord, je pense qu'il vaut mieux passer la nuit dans cette habitation.
— Vous avez raison, Pencroff, répondit Gédéon Spilett, et si son propriétaire revient, eh bien! Il ne se plaindra peut-être pas de trouver la place prise!
— Il ne reviendra pas! dit le marin en hochant la tête.
— Vous croyez qu'il a quitté l'île? demanda le reporter.
— S'il avait quitté l'île, il eût emporté ses armes et ses outils, répondit Pencroff. Vous savez le prix que les naufragés attachent à ces objets, qui sont les dernières épaves du naufrage. Non! non! répéta le marin d'une voix convaincue, non! Il n'a pas quitté l'île! S'il s'était sauvé sur un canot fait par lui, il eût encore moins abandonné ces objets de première nécessité! Non, il est sur l'île!
— Vivant?... demanda Harbert.
— Vivant ou mort. Mais s'il est mort, il ne s'est pas enterré lui-même, je suppose, répondit Pencroff, et nous retrouverons au moins ses restes!»
Il fut donc convenu que l'on passerait la nuit dans l'habitation abandonnée, qu'une provision de bois qui se trouvait dans un coin permettrait de chauffer suffisamment. La porte fermée, Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett, assis sur un banc, demeurèrent là, causant peu, mais réfléchissant beaucoup. Ils se trouvaient dans une disposition d'esprit à tout supposer, comme à tout attendre, et ils écoutaient avidement les bruits du dehors. La porte se fût ouverte soudain, un homme se serait présenté à eux, qu'ils n'en auraient pas été autrement surpris, malgré tout ce que cette demeure révélait d'abandon, et ils avaient leurs mains prêtes à serrer les mains de cet homme, de ce naufragé, de cet ami inconnu que des amis attendaient!
Mais aucun bruit ne se fit entendre, la porte ne s'ouvrit pas, et les heures se passèrent ainsi. Que cette nuit parut longue au marin et à ses deux compagnons! Seul, Harbert avait dormi pendant deux heures, car, à son âge, le sommeil est un besoin. Ils avaient hâte, tous les trois, de reprendre leur exploration de la veille et de fouiller cet îlot jusque dans ses coins les plus secrets! Les conséquences déduites par Pencroff étaient absolument justes, et il était presque certain que, puisque la maison était abandonnée et que les outils, les ustensiles, les armes s'y trouvaient encore, c'est que son hôte avait succombé. Il convenait donc de chercher ses restes et de leur donner au moins une sépulture chrétienne.
Le jour parut. Pencroff et ses compagnons procédèrent immédiatement à l'examen de l'habitation.
Elle avait été bâtie, vraiment, dans une heureuse situation, au revers d'une petite colline que cinq ou six magnifiques gommiers abritaient. Devant sa façade et à travers les arbres, la hache avait ménagé une large éclaircie, qui permettait aux regards de s'étendre sur la mer. Une petite pelouse, entourée d'une barrière de bois qui tombait en ruines, conduisait au rivage, sur la gauche duquel s'ouvrait l'embouchure du ruisseau.
Cette habitation avait été construite en planches, et il était facile de voir que ces planches provenaient de la coque ou du pont d'un navire. Il était donc probable qu'un bâtiment désemparé avait été jeté à la côte sur l'île, que tout au moins un homme de l'équipage avait été sauvé, et qu'au moyen des débris du navire, cet homme, ayant des outils à sa disposition, avait construit cette demeure.
Et cela fut bien plus évident encore, quand Gédéon Spilett, après avoir tourné autour de l'habitation, vit sur une planche — probablement une de celles qui formaient les pavois
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