Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique by Albert Robida (inspirational books for students .txt) 📗
- Author: Albert Robida
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�Si ce diable de Sulfatin me prolonge vingt ans, je suis absolument ruin�! g�missait parfois La H�ronni�re.
—Soyez tranquille, disait Sulfatin; dans cinq ou six ans, lorsque vous serez suffisamment r�tabli, je vous permettrai de rentrer un peu dans les affaires, l�g�rement, � petites doses mesur�es, et vous rattraperez les primes que vous aurez � me payer... Mais, vous savez, ob�issance absolue, ou je vous abandonne en touchant le d�dit, le fameux d�dit!
—Oui! oui! oui!�
Et M. La H�ronni�re, effray�, subissait, sans se permettre la moindre observation, la direction de l'ing�nieur m�dical.
M. Philox Lorris, �le grand chef�, lorsqu'il organisa le Voyage de fian�ailles de son fils, en donnant pour compagnons aux jeunes fianc�s cet �trange docteur Sulfatin, flanqu� de son malade, eut une longue conf�rence avec Sulfatin et lui donna de minutieuses instructions:
�En deux mots, mon ami, votre r�le vis-�-vis de ces deux fianc�s est tr�s simple! Ce qu'il me faut, c'est qu'ils reviennent brouill�s ou, pour le moins, que cet �tourneau de Georges perde en route ses illusions sur le compte de sa fianc�e. Vous le savez, parbleu, un amoureux est un hypnotis� et un illusionn�; eh bien! r�veillons-le, d�sillusionnons-le!... Quelques bonnes projections d'ombre sur l'objet brillant et l'�tincellement cesse... Vous comprenez, n'est-ce pas? que j'ai d'autres vues pour mon fils: Mlle la s�natrice Coupard, de la Sarthe, ou la doctoresse Bardoz... Et m�me, ce qui arrangerait compl�tement les choses, si vous �tiez adroit, vous l'�pouseriez, vous, cette demoiselle,—je me chargerais de la dot,—ou vous la feriez �pouser � La H�ronni�re... Il commence � �tre pr�sentable, La H�ronni�re! Entendu, n'est-ce pas? En m�me temps, comme vous avez votre malade avec vous, songez aux exp�riences pour notre grande affaire, que tous ces tracas pour ces jeunes gens ne doivent pas nous faire oublier.
—Entendu, compris!� r�pondit Sulfatin.
Comme on le voit, si Philox Lorris avait eu l'air d'accorder � son fils la fianc�e de son choix, il n'en avait pas moins conserv� une arri�re-pens�e et il esp�rait bien, en fin de compte, que, le Voyage de fian�ailles termin� de la bonne fa�on par un refroidissement et une rupture, le sang des Lorris, vici� par un anc�tre artiste, aurait l'occasion de se revivifier par l'alliance de son fils avec une doctoresse. Pour �tre bien certain d'amener une brouille entre les deux fianc�s, il mettait aupr�s d'eux un homme s�r qui trouverait le moyen de d�sillusionner le jeune Lorris, de lui faire sentir les ennuis de ce mariage frivole.
Le Parc national d'Armorique barr� � l'industrie et interdit aux innovations de la science. —Une diligence!—La vie d'autrefois dans le d�cor de jadis.—L'auberge du grand Saint-Yves, � Kerno�l.—O� se d�couvre un nouveau Sulfatin.
Les vagues de l'Oc�an battent doucement en caresse le sable �tincelant et dor� d'une crique �troite, bord�e de belles roches, escarp�es par endroits, sur lesquelles se mamelonnent des masses de verdures suspendues parfois jusqu'au-dessus des flots. Il fait beau, tout sourit aujourd'hui, le soleil brille, le murmure du flot, comme une douce et lente chanson, s'�l�ve parmi les roches o� l'�cume floconne.
Au fond de la crique, pr�s de quelques barques hiss�es sur la gr�ve, se voient quelques vieilles maisons de p�cheurs, couvertes d'un chaume roux, par-dessus lesquelles, au sommet de l'escarpement rocheux, trois ou quatre menhirs, fant�mes des temps lointains, dressent dans le ciel leurs t�tes grises et moussues. Au loin, sur le bord d'une petite rivi�re capricieuse et cascadante, un gros bourg cache � demi ses maisons sous les ombrages des ch�nes, des aulnes et des ch�taigniers que perce une belle fl�che d'�glise, �lanc�e et ajour�e. Un calme profond r�gne sur la r�gion tout enti�re; d'un bout de l'horizon � l'autre, aussi loin que l'œil peut voir par-dessus les lignes de collines bleu�tres o� surgissent aussi d'autres clochers �� et l�, nulle trace d'usines ou d'�tablissements industriels, g�tant tous les coins de nature, polluant de leurs d�jections inf�mes les eaux des rivi�res, salissant tout au loin, en haut comme en bas, et jusqu'aux nuages du ciel; pas de tubes coupant le paysage d'une ligne ennuyeuse et rigide, point de ces hauts b�timents indiquant des secteurs d'�lectricit�, point d'embarcad�res a�riens, et pas la moindre circulation d'a�ronefs dans l'azur.
O� sommes-nous donc? Avons-nous recul� de cent cinquante ans en arri�re, ou sommes-nous dans une partie du monde si lointaine et si oubli�e que le progr�s n'y a pas encore p�n�tr�?
Non pas! Nous sommes en France, sur la mer de Bretagne, dans un coin d�tach� des anciens d�partements du Morbihan et du Finist�re, formant, sous le nom de Parc national d'Armorique, un territoire soumis � un r�gime particulier.
Bien particulier, en effet. De par une loi d'int�r�t social, vot�e il y a une cinquantaine d'ann�es, le Parc national a �t� dans toute son �tendue soustrait au grand mouvement scientifique et industriel qui commen�ait alors � bouleverser si rapidement et � transformer radicalement la surface de la terre, les mœurs, les caract�res et les besoins, les habitudes et la vie de la fourmili�re humaine.
De par cette loi pr�servatrice qui a si sagement, au milieu de ce bouleversement universel, dans cette course haletante vers le progr�s, song� � garder intact un coin du vieux monde o� les hommes puissent respirer, le Parc national d'Armorique est une terre interdite � toutes les innovations de la science, barr�e � l'industrie. Au poteau marquant sa fronti�re, le progr�s s'arr�te et ne passe pas; il semble que l'horloge des temps soit d�traqu�e; � quelques lieues des villes o� r�gne et triomphe en toute intensit� notre civilisation scientifique, nous nous trouvons report�s en plein Moyen �ge, au tranquille et somnolent 19e si�cle.
Dans ce Parc national, o� se perp�tue l'immense calme de la vie provinciale de jadis, tous les �nerv�s, tous les surmen�s de la vie �lectrique, tous les c�r�braux fourbus et an�mi�s viennent se retremper, chercher le repos r�parateur, oublier les �crasantes pr�occupations du cabinet de travail, de l'usine ou du laboratoire, loin de tout engin ou appareil absorbant et �nervant, sans T�l�s, sans phonos, sans tubes, sous un ciel vide de toute circulation.
Comment les fianc�s Georges Lorris et Estelle Lacombe, avec Sulfatin et son malade La H�ronni�re, sont-ils ici, au lieu d'�tudier en ce moment, suivant les instructions de Philox Lorris, les hauts fourneaux �lectriques du bassin de la Loire ou les volcans artificiels d'Auvergne?
Georges Lorris, d�s qu'il eut install� Estelle dans un fauteuil d'osier, plia soigneusement les instructions de Philox Lorris, les mit dans sa poche et s'en alla dire deux mots au m�canicien. Aussit�t l'a�ronef, qui avait pris la direction du Sud, vira l�g�rement sur tribord et pointa droit vers l'Ouest. Sans doute Sulfatin, qui t�tait le pouls � son malade, ne s'en aper�ut pas, car il ne fit aucune observation. Le temps �tait superbe, l'atmosph�re, d'une limpidit� parfaite, permettait � l'œil de fouiller jusqu'en ses moindres d�tails l'immense panorama qui semblait avec une vertigineuse rapidit� se d�rouler sous l'a�ronef: cha�nes de collines, plaines jaunes et vertes, capricieusement d�coup�es par les m�andres des rivi�res, for�ts �tal�es en larges taches d'un vert sombre, villages, villes, bourgs de plaisance, groupements de villas �l�gantes, faubourg de quelque riche cit� devin�e dans le lointain � sa couronne de v�hicules a�riens, agglom�rations industrielles, noires usines aux formes �tranges, envelopp�es d'une atmosph�re d'�paisses fum�es dont la coloration suffit parfois � indiquer le genre d'industrie exploit�...
On suivit quelque temps, � 600 m�tres au-dessus, le tube de Paris-Brest, on croisa plusieurs a�ronefs ou omnibus de Bretagne, et Sulfatin, qui contemplait le paysage avec une lorgnette, ne dit rien; on passa au-dessus des villes de Laval, de Vitr�, de Rennes, signal�es pourtant � haute voix par Georges, sans qu'il fit aucune observation.
Ce fut Estelle, plong�e comme dans un r�ve charmant, qui tout � coup quitta le bras de Georges.
�Mon Dieu, fit-elle, je n'y songeais pas, tant j'�tais heureuse, mais nous n'allons pas � Saint-�tienne?
—�tudier les hauts fourneaux �lectriques, forges, laminoirs, �tablissements industriels et volcans artificiels, etc., r�pondit Georges en souriant; non, Estelle, nous n'y allons pas!...
—Mais les instructions de M. Philox Lorris?
—Je ne me sens pas en train en ce moment pour ce genre d'occupations... Je serais oblig� de faire une trop dure violence � mon esprit, qui est aujourd'hui enti�rement ferm� aux beaut�s de la science et de l'industrie...
—Pourtant...
—Voudriez-vous me voir devenir un second La H�ronni�re? Je d�sire pour quelque temps, pour le plus longtemps possible, ignorer toutes ces choses, � moins que vous ne teniez vous-m�me � vous plonger dans ces douceurs; je souhaite ne plus entendre parler d'usines, de hauts fourneaux, d'�lectricit�, de tubes, de toutes ces merveilles modernes qui nous font la vie si bouscul�e et si fi�vreuse!...�
L'a�ronef atterrit au dernier d�barcad�re a�rien, � la limite du Parc national, sans que Sulfatin soulev�t la moindre objection. Il �tait six heures du soir lorsque les voyageurs touch�rent le sol; imm�diatement, Georges Lorris emmena tout son monde vers un v�hicule bizarre, � caisse jaune, tra�n� par deux vigoureux petits chevaux.
�Oh! c'est une diligence! s'�cria Estelle; j'en ai vu dans les vieux tableaux! Il y en a encore! Nous allons voyager en diligence, quel bonheur!
Jusqu'� Kerno�l, un pays d�licieux, vous verrez! Vous n'�tes pas au bout de vos �tonnements! Dans le Parc national de Bretagne, vous n'allez plus retrouver rien de ce que vous connaissez... Ce qui me surprend, c'est que notre ami Sulfatin ne dise rien et ne r�clame pas contre ces accrocs au programme... Son silence me stup�fie; mais ces savants sont si distraits, que Sulfatin se croit peut-�tre en a�rocab!�
Deux heures de route par des chemins charmants, o� rien ne rappelait le d�cor de la civilisation moderne: petits villages tranquilles � toits de chaume, calvaires de granit � personnages sculpt�s, group�s au pied de la croix, auberges indiqu�es par des touffes de gui, troupeaux de porcs gard�s par de vieux bergers � silhouettes fantastiques, apparitions vraiment surprenantes qui semblaient surgir du fond du pass�, ou se d�tacher de vieilles peintures de mus�es, voil� tout ce que le regard apercevait, d�filant sur le c�t� de la route. Estelle, pench�e au carreau de la diligence, croyait r�ver. Sur le pas des portes, dans les villages, des femmes faisaient tourner des rouets, de vrais rouets, comme on n'en voit plus que dans les vieilles images; bien mieux, sur les talus des routes, des femmes, assises dans l'herbe, filaient l'antique quenouille!
�Quand on songe, dit Sulfatin, aux grandes usines de Rouen, o� quarante mille balles de laine entrent tous les matins pour se faire laver, carder, teindre, tisser et en sortent, le soir, transform�es en camisoles, gilets, bas, ch�les et capuchons!�
Sulfatin n'�tait pas si distrait qu'on le pensait. Georges le regarda tr�s surpris. Comment! il savait o� l'on allait et il ne r�clamait pas!
A toutes les auberges de la route, suivant l'antique usage, le postillon s'arr�tait, �changeant quelques mots avec les servantes accourues sur la porte, et prenait une grande bol�e de cidre avec un petit verre d'eau-de-vie. Enfin, apr�s bien des changements de d�cors plus charmants et plus surann�s les uns que les autres, le conducteur, du bout de son fouet, indiqua aux voyageurs une fl�che d'�glise qui se dressait en haut d'une colline.
C'�tait la toute petite ville de Kerno�l, assise dans le cadre d'or des gen�ts, au bord d'une petite rivi�re qui s'en allait trouver la mer � une demi-lieue. Clic, clac! avec un grand bruit de ferraille secou�e et de claquements de fouet, la diligence traversa la ville au grand galop de ses chevaux. Jolie petite ville, � la mode de jadis en son cadre de remparts �br�ch�s et moussus, ombrag�s de grands arbres, avec une belle �glise grise et jaune en haut de la colline, �tendant son ombre protectrice sur un fouillis de vieux toits, avec des rues tortueuses et des files serr�es de maisons � pignons ardois�s, dont toutes les poutres sont soutenues par de bonnes figures de saints barbus, par des animaux bizarres, ou se terminent par de grosses t�tes qui font au passant les plus comiques grimaces.
O �tonnement! il y a m�me des r�verb�res suspendus au-dessus des carrefours! Des r�verb�res qu'un bonhomme
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