Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗». Author C.-A. Sainte-Beuve
Empeytaz, Depuis Qu'on Me L'a Fait Voir Prenant Si Résolument Le Docteur
Gay Pour Compère?
Dès Cette Époque, Elle Avait L'habitude De Mêler Dieu À Toutes Choses,
À Celles Même Auxquelles Sans Doute Il Aime Le Moins À Être Mêlé.
Parcourant Dernièrement Les Papiers De Chênedollé, J'y Trouvais Quelques
Passages Relatifs À Mme De Krüdner, Et Je Remarquais Qu'à Cette Date De
1802, Dans Le Monde De Mme De Beaumont Et De M. Lonbert, On La Traitait
Un Peu Légèrement[212]. Mais Voici Une Parole Plus Grave, Que Je N'ai Plus
Aucune Raison Pour Dérober; Elle Est De M. De Lézay, De Celui Même Qui
Est Une Des Autorités Qu'on Invoque Le Plus Volontiers Quand Il S'agit
De Sa Fervente Amie. «Lézay Prétend (Dit Chênedollé) Que Mme De Krüdner,
Dans Les Moments Les Plus Décisifs Avec Son Amant, Fait Une Prière À
Dieu En Disant: _Mon Dieu, Que Je Suis Heureuse! Je Vous Demande Pardon
De L'excès De Mon Bonheur!_ Elle Reçoit Ce Sacrifice Comme Une Personne
Qui Va Recevoir Sa Communion.» Le Mot Est Vif, Il Est Sanglant, Venant
D'un Ami Intime; Mais Il Marque Quelle Était Alors La Disposition
Mystico-Mondaine De La Sainte Future, Ce Que J'appelle L'amalgame, Et Le
Trait S'accorde Bien Avec Les Révélations Que Nous Devons À M. Eynard
Sur Cette Époque De Transition. Ai-Je Donc Eu Raison De Dire Que Le Trop
De Connaissance Du Dedans Me Gâtait Désormais Le Personnage De Valérie,
Et Que L'idéal Y Périssait?
Il Y A Lieu Pourtant De Trouver Que C'est Bien Dommage, Car Le Talent De
Mme De Krüdner, À L'heure Dont Nous Parlons, S'était Dégagé Des Vagues
Déclamations De Sa Première Jeunesse, Et Devenait Un Composé Original
D'élévation Et De Grâce. Sa Plume, Comme Sa Personne, Avait De La Magie.
Pendant Cet Automne De 1802, Entre Autres Manières De Se Rappeler
Au Public De Paris, Elle Eut Soin De Faire Insérer (Peut-Être Par
L'entremise De M. Michaud, Alors Très-Monté Pour Elle) Quelques
_Pensées_ Détachées Dans _Le Mercure_[213]; Le Rédacteur Disait En Les
Annonçant: «Les Pensées Suivantes Sont Extraites Des Manuscrits D'une
Dame Étrangère, Qui A Bien Voulu Nous Permettre De Les Publier Dans
Notre Journal. Quand On Pense Avec Tant De Délicatesse, On A Raison De
Choisir Pour S'exprimer La Langue De Sévigné Et De La Fayette.» Voici
Quelques-Unes De Ces Pensées, Qui Sont En Effet Délicates Et Fines;
L'esprit Du Monde S'y Combine Avec Un Souffle De Rêve Et De Poésie.
«Les Gens Médiocres Craignent L'exaltation, Parce Qu'on Leur A Dit
Qu'elle Pouvait Avoir Des Suites Nuisibles; Cependant C'est Une Maladie
Qu'on Ne Peut Pas Leur Donner.
«Il Y A Des Gens Qui Ont Eu Presque De L'amour, Presque De La Gloire, Et
Presque Du Bonheur.
«On Cherche Tout Hors De Soi Dans La Première Jeunesse; Nous Faisons
Alors Des Appels De Bonheur À Tout Ce Qui Existe Autour De Nous, Et Tout
Nous Renvoie Au Dedans De Nous-Même Peu À Peu.
«Les Âmes Froides N'ont Que De La Mémoire; Les Âmes Tendres Ont Des
Souvenirs, Et Le Passé Pour Elles N'est Point Mort, Il N'est Qu'absent.
«Le Meilleur Ami À Avoir, C'est Le Passé.
«Dire Aux Hommes Ne Suffit Pas, Il Faut Redire, Et Puis Redire Encore;
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 167Et Qu'après Avoir Été Tant Rebutée, Elle Trouve Enfin Accès Par Sa
Persévérance.
«Les Âmes Fortes Aiment, Les Âmes Faibles Désirent.
«La Vie Ressemble À La Mer, Qui Doit Ses Plus Beaux Effets Aux Orages.
«C'est Un Bel Éloge À Faire De Quelqu'un, Au Milieu De La Corruption
Du Monde, Que De Le Croire Digne D'être Appelé Romanesque. Ce Sont Des
Titres De Chevalerie Où Chacun Ne Ferait Pas Facilement Ses Preuves.
«Il Y A Des Femmes Qui Traversent La Vie Comme Ces Souffles Du Printemps
Qui Vivifient Tout Sur Leur Passage.»
Elle Était Elle-Même Une De Ces Femmes: Dans Le Monde Comme Dans La
Pénitence, Toute Son Ambition Fut Qu'on La Prît Pour Une De Ces Brises
Vivifiantes Du Printemps; Et Quand Il N'y Eut Plus Moyen De Se Faire
Illusion Sur Le Printemps Terrestre, Elle Aspira, Elle Avisa À Paraître
Dès Ici-Bas Un Souffle Et Un Soupir Du Printemps Éternel.
Ces Quelques Pages Du _Mercure_ Se Terminaient Par Cette Pensée, Qui
Exprimait À Ravir Son Rêve Et Sa Prétention Du Moment: «La Mélancolie
Des Âmes Tendres Et Vertueuses Est La Station Entre Deux Mondes. On Sent
Encore Ce Que Cette Terre A D'attachant, Mais On Est Plus Près D'une
Félicité Plus Durable.» Cette Sorte De _Station_ Intermédiaire Est
Précisément L'état Dans Lequel Elle Se Plaisait À Se Dessiner Alors,
Et Dans Lequel Nous Nous Plaisions Nous-Même À La Considérer, En Nous
Prêtant À Sa Coquetterie À Demi Angélique. Il N'y A Plus Moyen, Après
Les Révélations Récentes, De S'en Tenir À Ce Demi-Jour Douteux Entre Le
Boudoir Et Le Sanctuaire. Nous Savons Trop Bien De Quoi Il Retournait
Dans La Coulisse, Et On Nous A Fait Toucher Du Doigt Les Ficelles.
_Valérie_ Parut En Décembre 1803. «Toutes Les Batteries De Mme De
Krüdner, Dit M. Eynard, Étaient Montées Pour Saluer Son Apparition.
Aucune Ne Manqua Son Effet. Amis Dévoués, Journalistes, Littérateurs
Indépendants, Adversaires, Envieux, Chacun À Sa Manière S'occupa De Mme
De Krüdner Et De Son Livre. Elle-Même Ne Se Fit Pas Défaut, Et Pendant
Plusieurs Jours, Se Dévouant Avec La Plus Persévérante Ardeur À Assurer
Son Triomphe, Elle Courut Les Magasins De Modes Les Plus En Vogue Pour
Demander Incognito Tantôt Des Écharpes, Tantôt Des Chapeaux, Des Plumes,
Des Guirlandes, Des Rubans _À La Valérie_. En Voyant Cette Étrangère,
Belle Encore Et Fort Élégante, Descendre De Voiture, D'un Air Si Sûr De
Son Fait, Pour Demander Les Objets De Fantaisie Qu'elle Inventait, Les
Marchands Se Sentaient Saisis D'une Bienveillance Inexprimable Et
D'un Désir Si Vif De La Contenter Qu'il Fallait Bien Qu'on Parvînt À
S'entendre... Grâce À Ce Manège, Elle Parvint À Exciter Dans Le Commerce
Une Émulation Si Furieuse En L'honneur De Valérie, Que Pour Huit Jours
Au Moins Tout Fut _À La Valérie_.» On Est Aux Regrets D'apprendre De
Telles Choses, Si Piquantes Qu'elles Soient. En Les Apprenant Hier,
Une Admiratrice De _Valérie_, Qui Avait Pleuré En La Lisant Autrefois,
Disait Spirituellement: «Ah! Que Je Voudrais Reprendre Mes Larmes!»
Par Cette Page Si Agréablement Écrite, M. Eynard Nous Montre Que S'il
Avait Voulu Appliquer Dans Tout Son Ouvrage Le Même Esprit De Critique,
Il S'en Fût Acquitté Très-Finement; Mais Dès Qu'il Aborde La Vie
Religieuse De Mme De Krüdner, Lui Qui A Été Si Adroit À Pénétrer La
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 168Personne Mondaine, Il Croit Tout D'abord À La Sainte: Il S'arrête Saisi
De Respect, N'examinant Plus, Et Ne Voulant Pas Admettre Que, Même
Sur Un Fond Incontestable De Croyance Et D'illusion, C'est-À-Dire De
Sincérité, Il A Dû Se Glisser Bien Des Réminiscences Plus Ou Moins
Involontaires De Ce Premier Jeu, Bien Des Retours De Cet Ancien
Savoir-Faire. Quand On A Été Une Fois Excellente Comédienne, Cela Ne Se
Perd Jamais. Remarquez Que Dès Lors Elle Entrait Dans Sa Seconde Veine;
Elle Commençait À Voir Partout Le Doigt De Dieu; Et, Même Après Avoir
Monté De La Sorte Ce-Succès De _Valérie_, Elle Est Toute Disposée Après
Coup À S'en Émerveiller Et À Y Dénoncer Un Miracle: «Le Succès De
_Valérie_, Écrivait-Elle À Mme Armand, Est Complet Et Inouï, Et L'on Me
Disait Encore L'autre Jour: Il Y A Quelque Chose De _Surnaturel_ Dans Ce
Succès. _Oui, Mon Amie, Le Ciel A Voulu Que Ces Idées, Que Cette
Morale Plus Pure Se Répandissent En France, Où Ces Idées Sont Moins
Connues_...» En Écrivant Ainsi, Elle Avait Déjà Oublié Ses Propres
Ressorts Humains, Et Elle Rendait Grâce De Tout À Dieu. Mais Cette
Facilité D'oubli Et De Confusion Me Rend Méfiant Pour L'avenir. Qui Me
Répond Qu'elle N'ait Pas Fait Plus D'une Fois De Ces Confusions, Qu'elle
N'ait Pas Eu Plus Tard De Ces Oublis-Là?
Parmi Les Témoignages D'admiration En L'honneur De _Valérie_, M. Eynard
Cite Le Passage D'une Lettre D'ymbert Galloix, Jeune Homme De Genève,
Mort À Paris En 1828, Et Il Le Proclame _Un Jeune Poète Plein De Génie_.
Puisque J'en Suis Aux Sévérités Et À Montrer Que M. Eynard, Sur Quelques
Points, N'a Pas Eu Toute La Critique Qu'on Aurait Pu Exiger, Je Noterai
(Et Le Biographe Du Médecin Tissot Me Comprendra) Qu'ymbert Galloix,
Que Nous Avons Beaucoup Connu Et Vu Mourir, N'avait Réellement Pas De
_Génie_, Mais Une Sensibilité Exaltée, Maladive, Surexcitée, Et Qu'il
Est Mort S'énervant Lui-Même. Il Suffirait Que Sur Quelques Autres
Articles Le Biographe Eût Apporté La Même Complaisance Et Facilité De
Jugement, Pour Que Nous Eussions Le Droit De Modifier Certaines De Ses
Conclusions.
Malgré Tout, C'est Chez Lui Désormais, Et Nulle Part Ailleurs, Qu'il
Faut Apprendre À Connaître La Vie Religieuse De Mme De Krüdner; Journaux
Manuscrits, Correspondance Intime, Entretiens De Vive Voix Avec Les
Principaux Personnages Survivants, Il A Tout Recherché Et Rassemblé Avec
Zèle, Et, Dans La Riche Matière Qu'il Déroule À Nos Yeux, On Ne Pourrait
Se Plaindre, Par Endroits, Que Du Trop D'abondance. Les Événements De
1815 Surtout, Et Le Rôle Qu'y Prit Mme De Krüdner Par Son Influence Sur
L'empereur Alexandre, Sont Présentés Sous Un Jour Intéressant, Dans Un
Détail Positif Et Neuf, Emprunté Aux Meilleures Sources. M. Eynard A Été
Guidé, Pour Le Fil De Cette Relation Délicate, Par Une Personne D'un
Haut Mérite, Initiée Dès L'origine À La Confidence De Mme De Krüdner Et
De L'empereur, Mme De Stourdza, Depuis Comtesse Edling. Sur Quelques
Points Chemin Faisant, M. Eynard, Qui Veut Bien Tenir Compte Avec
Indulgence De Notre Ancienne Esquisse De Mme De Krüdner, A Pris Soin
D'en Rectifier Les Traits Qu'il Trouve Inexacts, Et De Réfuter Aussi
L'esprit Un Peu Léger Où Se Jouait Notre Crayon. Il A Raison Assez
Souvent, Je Le Lui Accorde; En Deux Ou Trois Cas Seulement; Je Lui
Demanderai La Permission De Ne Pas Me Rendre À Ses Autorités. Par
Exemple, J'ai Raconté Une Visite De Mme De Krüdner À Saint-Lazare,
L'effet Que La Prêcheuse Éloquente Produisit Sur Ces Pauvres
Pécheresses, La Promesse Qu'elle Leur Fit De Les Revoir, Et Aussi Son
Oubli D'y Revenir. M. Eynard S'autorise, À Cet Endroit, Du Témoignage De
M. De Gérando, Qui Avait Conduit Mme De Krüdner À Saint-Lazare, Et Il Me
Réprimande Doucement Du Sourire Que J'ai Mêlé À Mon Éloge; Mais Cette
Critique, Qu'il Le Sache Bien, Ce N'est Pas Moi Qui L'ai Faite: C'est
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 169
Comments (0)