Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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Je Ne Vous Ai Point Oublié, Et C'est Pourquoi, Bien Que Je N'aie Rien À
Vous Dire, Je N'éprouve Pas Que Le Silence Soit L'expression Convenable
De La Bonne Amitié Que Je Vous Porte Et De La Reconnaissance Que Je Vous
Ai Vouée, À Vous Et À M. De Maistre, Mon Autre Parrain[295].
«Que Vous Dirai-Je Donc, Monsieur, N'ayant Rien À Vous Dire? Je Vous
Dirai Que M. R... M'a Apporté Des Compliments Que Vous Lui Aviez
Remis Pour Moi Et Qui M'ont Fait Un Bien Grand Plaisir. Il Avait Eu
L'avantage. M. R..., De Vous Aller Voir. Sur Quoi Je Me Suis Informé
Auprès De Lui De Choses Qui Me Tiennent À Coeur. Devinez Lesquelles?
Vous Ne Le Pourriez Pas. «Si Vous Êtes Abordable, Si Vous Êtes Un Homme
Avec Lequel Un Provincial, Qui Irait À Paris, Pourrait, Tel Quel, Au
Coin Du Feu, S'entretenir Bonnement, Sans Lorgnon Ni Manchettes; Si Vous
Êtes, Etc., Etc.» Sur Tous Ces Points, M. R... M'a Édifié Si Bien, Et
Tout S'est Trouvé Être Tellement À Mon Gré, Qu'il N'y A Aucun Doute Que
Je Me Promets D'aller Quelque Jour Frapper À Votre Porte, Monsieur, Et
Vous Demander La Faveur D'un Bout De Soirée Employé En Causeries. Comme
J'ai Les Yeux Dans Un État Misérable, Et Que Les Docteurs Inclinent De
Plus En Plus Vers Un Temps De Repos Complet Et Récréatif, J'espère Les
Amener À M'ordonner De Faire Une Pointe En Angleterre Et Un Séjour À
Paris Que Je N'ai Pas Revu Depuis 1820 Et Que J'aimerais Revoir De La
Même Façon, C'est-À-Dire Perdu, Flâneur, Et, Dans Toute Cette Population
Entassée, Connaissant Seulement Trois Personnes Choisies.
«Figurez-Vous, Monsieur, Combien Je Suis Malheureux: Depuis Près D'un
An Condamné À Ne Presque Pas Lire Par Mes Yeux, À Ne Presque Pas Écrire
Aussi. Restent Des Leçons À Donner: C'est Une Façon Pas Mauvaise De
Tuer Le Temps, Mais Ce N'est Rien De Plus. J'en Suis À Avoir Envie
D'apprendre À Fumer: L'on Dit Qu'enveloppé De Ces Bouffées Odorantes,
Les Heures Coulent Vagues Et Rêveuses, Et Qu'avec De L'habitude On
Devient Stagnant Comme Un Turc. Sûrement Vous Ne Fumez Pas, Sans Quoi
Je Vous Prierais De Me Dire Bien Franchement Ce Qu'il En Est De Cette
Doctrine, Et Si Elle Est Fondée En Raison...»
Malgré Cette Fatigue D'organes, Il Ne Travaillait Pas Moins, Quoi Qu'il
En Dît; Il Ne Travaillait Que Plus, Et Comme S'il Eût Voulu Combler Les
Instants. Calame, Le Sévère Paysagiste, Qui Le Premier Abordait Par Son
Pinceau Les Hautes Conquêtes Alpestres Tant Rêvées Par Son Ami, Venait
Dîner Les Dimanches D'hiver Avec Lui; Entre Ces Deux Hommes De Franche
Nature, Auxquels Se Joignait Quelquefois M. Topffer Le Père, Non Moins
Passionné Qu'eux Pour Son Art, C'était Des Joutes De Dessins, De Lavis,
Qui Produisaient Dans La Soirée Une Foule De Vivantes Pages. On Peut
Juger Des _Réflexions Et Menus Propos_ Qui S'y Mêlaient Et Qui Donnaient
Le Motif, Par Le Morceau De Topffer Sur Le _Paysage Alpestre_, Inséré
Dans La _Bibliothèque De Genève_ Vers Ce Temps[296]. C'est En 1844 Que
L'état De Maladie Se Déclara Décidément Et Devint Sérieux. Topffer
Venait À Peu Près De Terminer Le Roman De _Rosa Et Gertrude_, Dont La
Donnée Et Les Situations Lui Avaient Été Suggérées Par Un Rêve, Et Qu'il
Composa D'abord Tout D'une Haleine. Il Alla Prendre Les Eaux De Lavey.
Son Séjour À Ces Tristes Bains Produisit Un Charmant Cahier De Paysages
Qui Fut Publié Au Bénéfice Des Pauvres Baigneurs De L'endroit. Ces Bains
D'ailleurs N'avaient Produit Aucun Résultat; L'affaiblissement, La
Maigreur Augmentaient; Une Fatigue Insurmontable Enchaînait Déjà Le
Malade Sur Un Canapé. Son Courage, Plus Fort Que Ses Misères, Tenait
Bon, Et Ses Collègues De L'académie Le Virent Jusqu'au Terme Des Cours
Se Traîner À Son Devoir[297]. Pour La Première Fois Il Renonça À Son
Voyage Annuel Avec Sa Jeune Bande, Et Il Allait Partir Pour Son Cher
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 256Cronay[298], Petit Bien De Famille Appartenant À Sa Femme, Où Il Se
Réjouissait De Passer Les Vacances, Quand Le Voile Se Déchira. Je Ne
Fais Que Transcrire Ici Les Témoignages Les Plus Proches[299]. Ce N'était
Pas Des Yeux Que Venait Son Mal, Mais D'un Gonflement Redoutable De La
Rate Et Du Foie. Il Fallut Sur-Le-Champ Partir Pour Vichy. Il Ressentit
D'abord, En Y Arrivant, Une Grande Impression De Solitude; Le Bruit
Et La Vanité Qui, Jusque Dans La Maladie, Continuent De Faire La Vie
Apparente De Ces Grands Rendez-Vous, L'offusquaient; Il Avait, Si L'on
Ose Le Dire, Quelques Préventions Un Peu Exagérées Contre Ce Qu'il
Appelait Notre Beau Monde; Nature _Genuine_, Comme Disent Les Anglais,
Il Avait Avant Tout Horreur Du Factice; Mais Il Ne Tarda Pas À S'y Lier
D'un Commerce En Tout Convenable À Son Caractère Et À Son Esprit Avec
Quelques Personnes Qui Lui Prodiguèrent Un Intérêt Affectueux, Et
Particulièrement Avec M. Léon De Champreux, De Toulouse: «J'ai Rarement
Vu, Nous Écrit M. De Champreux, Autant De Naïveté Et De Bonhomie
Réunies À Un Esprit Plus Piquant, Plus Original; Chaque Parole Dans Sa
Conversation Était Un Trait; Mais, Bon Et Affectueux Par-Dessus Tout, Sa
Plaisanterie Était Toujours Inoffensive. Rien, Même Dans Ses Écrits, Ne
Peut Donner Idée Du Charme De Son Intimité. Les Horribles Douleurs Qu'il
Endurait N'altéraient En Rien Son Égalité D'humeur, Et, Entre Deux
Plaintes Sur Ce Qu'il Souffrait, Il Laissait Échapper Une De Ces
Adorables Saillies Qui En Faisaient Un Homme Tout À Fait À Part.»
La Fin Du Séjour À Vichy Fut Triste, Le Retour Fut Lamentable: Après
Quelques Jours Pourtant, Il Sembla Que Le Mal Avait Un Peu Cédé, Et
L'ardeur Du Malade Pour Le Travail Aurait Pu Même Donner À Croire Qu'il
Était Guéri. Durant Ces Mois D'automne Et D'hiver (1844-1845), On Le
Vit Dessiner, En Le Refondant, _M. Cryptogame_, Composer Et Publier
Son _Histoire D'albert_ En Scènes, À La Plume, Puis Son _Essai De
Physiognomonie_. Après Quoi Il Reprit La Suite De Son _Traité Du Lavis À
L'encre De Chine (Menus-Propos D'un Peintre Genevois)_ Et En Acheva
Une Partie Assez Considérable Et Complètement Inédite, Dans Laquelle,
Remuant Et Discutant À Sa Manière Les Plus Intéressantes Questions De
L'esthétique, Il A Écrit, Nous Assurent De Bons Juges, Des Pages Bien
Neuves Et Les Plus Sérieuses Qui Soient Sorties De Sa Plume. Son
Ambition N'était Pas De Proposer Une Nouvelle Théorie Après Toutes
Celles Des Philosophes; C'était En Peintre Et Pour Sa Satisfaction Comme
Tel, Et Pour L'intelligence De Son Art Adoré, Qu'il S'appliquait Depuis
Des Années À Ce Genre D'écrits, Y Revenant Chaque Fois Avec Une Force
D'application Nouvelle. Ce Qui Redoublait Son Zèle En Réjouissant Son
Âme, C'était De Voir Que La Nouvelle École De Paysage, Florissante À
Genève, Marchait Hardiment Dans Cette Voie Dont Il Avait Été, Lui, Comme
Un Pionnier Infatigable: Cette Haute Couronne Alpestre Si Belle De
Simplicité, De Magnificence Et De Grandeur, Il Lui Semblait Qu'un Art
Généreux, En La Reproduisant, Allait En Doter Deux Fois Sa Patrie.
Ainsi Il Cherchait Instinctivement Dans Ses Travaux Favoris, Dans La
Poursuite De Ses Projets Les Plus Chers, Une Défense Énergique Contre
La Tristesse Qui Menaçait De L'abattre. Dans La Conversation Même, Il
S'animait Très-Vite; L'intérêt Des Idées Qu'elle Faisait Naître Le
Rendait Complètement À Son État Naturel, Et Jamais Son Entretien N'était
Sans Quelques-Uns De Ces Traits Amusants, Inattendus, Qui Lui Étaient
Particuliers. Mais Au Fond, Depuis La Fatale Découverte Et La
Perspective Mortelle, Quelque Chose De Grave Et De Résigné, De Religieux
Sans Mots Ni Phrases Du Sujet, Dominait Dans Sa Pensée Et Se Révélait
Indirectement Dans Ses Discours Par Une Plus Grande Douceur Et Une
Plus Grande Indulgence De Jugement. Dès Cette Époque, Le Journal Où Il
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 257Consignait Les Détails Relatifs À Ses Affaires Privées Se Remplit De
Pensées Personnelles, Qui Permettraient De Suivre L'enchaînement De Ses
Impressions, De Ses Alarmes, De Ses Espérances, De Ses Consolations
Aussi. Ce Journal Est Aux Mains De M. Vinet, Qui En Saura Tirer Le Miel
Savoureux Et La Salutaire Amertume.
Mais Pourquoi Prolonger Ces Longs Mois D'agonie? Ils Ne Furent Bientôt
Plus Pour Topffer Qu'une Suite De Pertes Graduelles, De Déchirements
Avant-Coureurs. Vers La Fin De L'hiver Il Dut Renoncer À Son Pensionnat,
Dont Le Fardeau Lui Avait Jusque-Là Été Si Léger. Quittant Avec Un
Serrement De Coeur Sa Chère Maison De La Promenade Saint-Antoine, Il
Alla À Mornex, Tiède Village Du Salève, Se Préparer À Un Second Voyage
De Vichy. Avant De Partir, Il Eut La Douleur De Voir Mourir Sa Mère. Au
Retour De Vichy (Août 1845) Après Divers Essais De Séjour Aux Champs, Il
Revint À Genève. Hors D'état D'écrire, Ou Du Moins De Composer, Encore
Moins De Dessiner, Il Imagina Alors De _Peindre_, Ce Qu'il Pouvait
Faire Dans Une Posture Encore Possible. Appuyé Sur Les Deux Bras De Son
Fauteuil, Un Petit Chevalet Placé Devant Lui, Il Peignait Avec Ardeur,
Avec Un Bonheur Qui Fut Le Dernier De Sa Vie; C'était La Première Fois,
Depuis Un Ou Deux Essais Tentés À L'âge De Dix-Huit Ans, Qu'il Lui
Arrivait De Peindre À L'huile. Ses Yeux, Qui S'étaient Opposés Dès Sa
Jeunesse À Ce Qu'il Continuât, Il N'avait Plus À Les Ménager Désormais,
Et Il Leur Demandait Comme Une Dernière Sensation D'artiste Ce Jeu,
Cette Harmonie Des Couleurs Vers Laquelle Il Se Sentait Irrésistiblement
Appelé; Il S'enivrait D'un Dernier Rayon. Calame Venait Lui Donner Des
Conseils, Et Les Petits Tableaux Assez Nombreux Qu'il A Exécutés Durant
Ces Deux Mois À Peine Attestent Quelle Était Sa Profonde Vocation
Native. Mais Bientôt Cette Dernière Diversion Cessa; Et Dès Lors, Durant
Les Mois Et Les Semaines Du Rapide Déclin, Il N'y Aurait Plus À Noter
Que Les Délicatesses De Son Âme Toujours Ouverte Et Sensible À Tout,
Les Soins Tendrement Ingénieux D'une Admirable Épouse, La Sollicitude
Unanime De Tout Ce Qui L'approchait, Jusqu'à Ce Qu'enfin À Son Tour,
Accompagné De La Cité Tout Entière Qui Lui Faisait Cortége, Ce Qui
Restait De Lui Sur La Terre S'achemina, Le 11 Juin, _Vers Cette Dernière
Allée De Grands Hêtres Qui Mènent Au Champ Du Repos_. C'est Ainsi Que
Lui-Même Nous Les A Montrés Autrefois Dans Son Gai Récit De _La Peur_;
C'est Ainsi Qu'il Y Revenait Plus Mélancoliquement Dans Son Dernier
Roman De _Rosa Et Gertrude_.
Il Y A Pour Nous À Dire Quelque Chose De Ce Roman Qu'on Va Lire[300], Et
Qui Ne Jurera En Rien Avec Le Récent Souvenir Funèbre. C'est Une Douce
Histoire, Touchante, Simple, Savante Pourtant De Composition Et Sans En
Avoir L'air. Un Bon Pasteur Y Tient La Plume Et Y Garde Jusqu'au Bout La
Parole, M. Bernier, Digne Collègue De M. Prévère. Un Jour, Dans Une
Rue Écartée De Genève, Par Un Temps De Bise, En Allant Porter Des
Consolations À Un Agonisant, M. Bernier A Rencontré Deux Jeunes Filles
Innocemment Rieuses, Qui Se Tenaient Par Le Bras Et Se Garaient De Leur
Mieux Contre Les Bouffées Du Vent. Comment Il S'intéresse Au Premier
Aspect À Ces Deux Jeunes Personnes Étrangères, Comment Il Les Remet Dans
Leur Chemin Qu'elles Avaient Perdu, Comment Il Les Rencontre De Temps
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