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Book online «De la Terre à la Lune by Jules Verne (read the beginning after the end novel .TXT) 📗». Author Jules Verne



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invariablement d�boutonn�es, � travers lesquelles s'�chappaient des mains f�briles. On sentait que, m�me au plus fort des hivers et des dangers, cet homme-l� n'avait jamais froid,—pas m�me aux yeux.

D'ailleurs, sur le pont du steamer, au milieu de la foule, il allait, venait, ne restant jamais en place, �chassant sur ses ancres�, comme disaient les matelots, gesticulant, tutoyant tout le monde et rongeant ses ongles avec une avidit� nerveuse. C'�tait un de ces originaux que le Cr�ateur invente dans un moment de fantaisie et dont il brise aussit�t le moule.

En effet, la personnalit� morale de Michel Ardan offrait un large champ aux observations de l'analyste. Cet homme �tonnant vivait dans une perp�tuelle disposition � l'hyperbole et n'avait pas encore d�pass� l'�ge des superlatifs: les objets se peignaient sur la r�tine de son œil avec des dimensions d�mesur�es; de l� une association d'id�es gigantesques; il voyait tout en grand, sauf les difficult�s et les hommes.

C'�tait d'ailleurs une luxuriante nature, un artiste d'instinct, un gar�on spirituel, qui ne faisait pas un feu roulant de bons mots, mais s'escrimait plut�t en tirailleur. Dans les discussions, peu soucieux de la logique, rebelle au syllogisme, qu'il n'e�t jamais invent�, il avait des coups � lui. V�ritable casseur de vitres, il lan�ait en pleine poitrine des arguments ad hominem d'un effet s�r, et il aimait � d�fendre du bec et des pattes les causes d�sesp�r�es.

Entre autres manies, il se proclamait �un ignorant sublime�, comme Shakespeare, et faisait profession de m�priser les savants: �des gens, disait-il, qui ne font que marquer les points quand nous jouons la partie�. C'�tait, en somme, un boh�mien du pays des monts et merveilles, aventureux, mais non pas aventurier, un casse-cou, un Pha�ton menant � fond de train le char du Soleil, un Icare avec des ailes de rechange. Du reste, il payait de sa personne et payait bien, il se jetait t�te lev�e dans les entreprises folles, il br�lait ses vaisseaux avec plus d'entrain qu'Agathocl�s, et, pr�t � se faire casser les reins � toute heure, il finissait invariablement par retomber sur ses pieds, comme ces petits cabotins en moelle de sureau dont les enfants s'amusent.

En deux mots, sa devise �tait: Quand m�me! et l'amour de l'impossible sa �ruling passion [Sa ma�tresse passion.]�, suivant la belle expression de Pope.

Mais aussi, comme ce gaillard entreprenant avait bien les d�fauts de ses qualit�s! Qui ne risque rien n'a rien, dit-on. Ardan risqua souvent et n'avait pas davantage! C'�tait un bourreau d'argent, un tonneau des Dana�des. Homme parfaitement d�sint�ress�, d'ailleurs, il faisait autant de coups de cœur que de coups de t�te; secourable, chevaleresque, il n'e�t pas sign� le �bon � pendre� de son plus cruel ennemi, et se serait vendu comme esclave pour racheter un N�gre.

En France, en Europe, tout le monde le connaissait, ce personnage brillant et bruyant. Ne faisait-il pas sans cesse parler de lui par les cent voix de la Renomm�e enrou�es � son service? Ne vivait-il pas dans une maison de verre, prenant l'univers entier pour confident de ses plus intimes secrets? Mais aussi poss�dait-il une admirable collection d'ennemis, parmi ceux qu'il avait plus ou moins froiss�s, bless�s, culbut�s sans merci, en jouant des coudes pour faire sa trou�e dans la foule.

Cependant on l'aimait g�n�ralement, on le traitait en enfant g�t�. C'�tait, suivant l'expression populaire, �un homme � prendre ou � laisser�, et on le prenait. Chacun s'int�ressait � ses hardies entreprises et le suivait d'un regard inquiet. On le savait si imprudemment audacieux! Lorsque quelque ami voulait l'arr�ter en lui pr�disant une catastrophe prochaine: �La for�t n'est br�l�e que par ses propres arbres�, r�pondait-il avec un aimable sourire, et sans se douter qu'il citait le plus joli de tous les proverbes arabes.

Tel �tait ce passager de l'Atlanta, toujours agit�, toujours bouillant sous l'action d'un feu int�rieur, toujours �mu, non de ce qu'il venait faire en Am�rique—il n'y pensait m�me pas—, mais par l'effet de son organisation fi�vreuse. Si jamais individus offrirent un contraste frappant, ce furent bien le Fran�ais Michel Ardan et le Yankee Barbicane, tous les deux, cependant, entreprenants, hardis, audacieux � leur mani�re.

La contemplation � laquelle s'abandonnait le pr�sident du Gun-Club en pr�sence de ce rival qui venait le rel�guer au second plan fut vite interrompue par les hurrahs et les vivats de la foule. Ces cris devinrent m�me si fr�n�tiques, et l'enthousiasme prit des formes tellement personnelles, que Michel Ardan, apr�s avoir serr� un millier de mains dans lesquelles il faillit laisser ses dix doigts, dut se r�fugier dans sa cabine.

Barbicane le suivit sans avoir prononc� une parole.

�Vous �tes Barbicane? lui demanda Michel Ardan, d�s qu'il furent seuls et du ton dont il e�t parl� � un ami de vingt ans.

—Oui, r�pondit le pr�sident du Gun-Club.

—Eh bien! bonjour, Barbicane. Comment cela va-t-il? Tr�s bien? Allons tant mieux! tant mieux!

—Ainsi, dit Barbicane, sans autre entr�e en mati�re, vous �tes d�cid� � partir?

—Absolument d�cid�.

—Rien ne vous arr�tera?

—Rien. Avez-vous modifi� votre projectile ainsi que l'indiquait ma d�p�che?

—J'attendais votre arriv�e. Mais, demanda Barbicane en insistant de nouveau, vous avez bien r�fl�chi?...

—R�fl�chi! est-ce que j'ai du temps � perdre? Je trouve l'occasion d'aller faire un tour dans la Lune, j'en profite, et voil� tout. Il me semble que cela ne m�rite pas tant de r�flexions.

Barbicane d�vorait du regard cet homme qui parlait de son projet de voyage avec une l�g�ret�, une insouciance si compl�te et une si parfaite absence d'inqui�tudes.

�Mais au moins, lui dit-il, vous avez un plan, des moyens d'ex�cution?

—Excellents, mon cher Barbicane. Mais permettez-moi de vous faire une observation: j'aime autant raconter mon histoire une bonne fois, � tout le monde, et qu'il n'en soit plus question. Cela �vitera des redites. Donc, sauf meilleur avis, convoquez vos amis, vos coll�gues, toute la ville, toute la Floride, toute l'Am�rique, si vous voulez, et demain je serai pr�t � d�velopper mes moyens comme � r�pondre aux objections quelles qu'elles soient. Soyez tranquille, je les attendrai de pied ferme. Cela vous va-t-il?

—Cela me va�, r�pondit Barbicane.

Sur ce, le pr�sident sortit de la cabine et fit part � la foule de la proposition de Michel Ardan. Ses paroles furent accueillies avec des tr�pignements et des grognements de joie. Cela coupait court � toute difficult�. Le lendemain chacun pourrait contempler � son aise le h�ros europ�en. Cependant certains spectateurs des plus ent�t�s ne voulurent pas quitter le pont de l'Atlanta; ils pass�rent la nuit � bord. Entre autres, J.-T. Maston avait viss� son crochet dans la lisse de la dunette, et il aurait fallu un cabestan pour l'en arracher.

�C'est un h�ros! un h�ros! s'�criait-il sur tous les tons, et nous ne sommes que des femmelettes aupr�s de cet Europ�en-l�!

Quant au pr�sident, apr�s avoir convi� les visiteurs � se retirer, il rentra dans la cabine du passager, et il ne la quitta qu'au moment o� la cloche du steamer sonna le quart de minuit.

Mais alors les deux rivaux en popularit� se serraient chaleureusement la main, et Michel Ardan tutoyait le pr�sident Barbicane.

XIX

UN MEETING

Le lendemain, l'astre du jour se leva bien tard au gr� de l'impatience publique. On le trouva paresseux, pour un Soleil qui devait �clairer une semblable f�te. Barbicane, craignant les questions indiscr�tes pour Michel Ardan, aurait voulu r�duire ses auditeurs � un petit nombre d'adeptes, � ses coll�gues, par exemple. Mais autant essayer d'endiguer le Niagara. Il dut donc renoncer � ses projets et laisser son nouvel ami courir les chances d'une conf�rence publique. La nouvelle salle de la Bourse de Tampa-Town, malgr� ses dimensions colossales, fut jug�e insuffisante pour la c�r�monie, car la r�union projet�e prenait les proportions d'un v�ritable meeting.

Le lieu choisit fut une vaste plaine situ�e en dehors de la ville; en quelques heures on parvint � l'abriter contre les rayons du soleil; les navires du port riches en voiles, en agr�s, en m�ts de rechange, en vergues, fournirent les accessoires n�cessaires � la construction d'une tente colossale. Bient�t un immense ciel de toile s'�tendit sur la prairie calcin�e et la d�fendit des ardeurs du jour. L� trois cent mille personnes trouv�rent place et brav�rent pendant plusieurs heures une temp�rature �touffante, en attendant l'arriv�e du Fran�ais. De cette foule de spectateurs, un premier tiers pouvait voir et entendre; un second tiers voyait mal et n'entendait pas; quant au troisi�me, il ne voyait rien et n'entendait pas davantage. Ce ne fut cependant pas le moins empress� � prodiguer ses applaudissements.

A trois heures, Michel Ardan fit son apparition, accompagn� des principaux membres du Gun-Club. Il donnait le bras droit au pr�sident Barbicane, et le bras gauche � J.-T. Maston, plus radieux que le Soleil en plein midi, et presque aussi rutilant. Ardan monta sur une estrade, du haut de laquelle ses regards s'�tendaient sur un oc�an de chapeaux noirs. Il ne paraissait aucunement embarrass�; il ne posait pas; il �tait l� comme chez lui, gai, familier, aimable. Aux hurrahs qui l'accueillirent il r�pondit par un salut gracieux; puis, de la main, r�clama le silence, silence, il prit la parole en anglais, et s'exprima fort correctement en ces termes:

�Messieurs, dit-il, bien qu'il fasse tr�s chaud, je vais abuser de vos moments pour vous donner quelques explications sur des projets qui ont paru vous int�resser. Je ne suis ni un orateur ni un savant, et je ne comptais point parler publiquement; mais mon ami Barbicane m'a dit que cela vous ferait plaisir, et je me suis d�vou�. Donc, �coutez-moi avec vos six cent mille oreilles, et veuillez excuser les fautes de l'auteur.

Ce d�but sans fa�on fut fort go�t� des assistants, qui exprim�rent leur contentement par un immense murmure de satisfaction.

�Messieurs, dit-il, aucune marque d'approbation ou d'improbation n'est interdite. Ceci convenu, je commence. Et d'abord, ne l'oubliez pas, vous avez affaire � un ignorant, mais son ignorance va si loin qu'il ignore m�me les difficult�s. Il lui a donc paru que c'�tait chose simple, naturelle, facile, de prendre passage dans un projectile et de partir pour la Lune. Ce voyage-l� devait se faire t�t ou tard, et quant au mode de locomotion adopt�, il suit tout simplement la loi du progr�s. L'homme a commenc� par voyager � quatre pattes, puis, un beau jour, sur deux pieds, puis en charrette, puis en coche, puis en patache, puis en diligence, puis en chemin de fer; eh bien! le projectile est la voiture de l'avenir, et, � vrai dire, les plan�tes ne sont que des projectiles, de simples boulets de canon lanc�s par la main du Cr�ateur. Mais revenons � notre v�hicule. Quelques-uns de vous, messieurs, ont pu croire que la vitesse qui lui sera imprim�e est excessive; il n'en est rien; tous les astres l'emportent en rapidit�, et la Terre elle-m�me, dans son mouvement de translation autour du Soleil, nous entra�ne trois fois plus rapidement. Voici quelques exemples. Seulement, je vous demande la permission de m'exprimer en lieues, car les mesures am�ricaines ne me sont pas tr�s famili�res, et je craindrais de m'embrouiller dans mes calculs.

La demande parut toute simple et ne souffrit aucune difficult�. L'orateur reprit son discours:

�Voici, messieurs, la vitesse des diff�rentes plan�tes. Je suis oblig� d'avouer que, malgr� mon ignorance, je connais fort exactement ce petit d�tail astronomique; mais avant deux minutes vous serez aussi savants que moi. Apprenez donc que Neptune fait cinq mille lieues � l'heure; Uranus, sept mille; Saturne, huit mille huit cent cinquante-huit; Jupiter, onze mille six cent soixante-quinze; Mars, vingt-deux mille onze; la Terre, vingt-sept mille cinq cents; V�nus, trente-deux mille cent quatre-vingt-dix; Mercure, cinquante-deux mille cinq cent vingt; certaines com�tes, quatorze cent mille lieues dans leur p�rih�lie! Quant � nous, v�ritables fl�neurs, gens peu press�s, notre vitesse ne d�passera pas neuf mille neuf cents lieues, et elle ira toujours en d�croissant! Je vous demande s'il y a l� de quoi s'extasier, et n'est-il pas �vident que tout cela sera d�pass� quelque jour par des vitesses plus grandes encore, dont la lumi�re ou l'�lectricit� seront probablement les agents m�caniques?

Personne ne parut mettre en doute cette affirmation de Michel Ardan.

�Mes chers auditeurs, reprit-il, � en croire certains esprits born�s—c'est le qualificatif qui leur convient—, l'humanit� serait renferm�e dans un cercle de Popilius qu'elle ne saurait franchir, et condamn�e � v�g�ter sur ce globe sans jamais pouvoir s'�lancer dans les espaces plan�taires! Il n'en est rien! On va aller � la Lune, on ira aux plan�tes, on ira aux �toiles, comme on va aujourd'hui de Liverpool � New York, facilement, rapidement, s�rement, et l'oc�an atmosph�rique sera bient�t travers� comme les oc�ans de la Lune! La distance n'est qu'un mot relatif, et finira par �tre ramen�e � z�ro.

L'assembl�e, quoique tr�s mont�e en faveur du h�ros fran�ais, resta un peu interdite devant cette audacieuse th�orie. Michel Ardan parut le comprendre.

�Vous ne semblez pas convaincus, mes braves h�tes, reprit-il avec un aimable sourire.

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