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Book online «La Fin Des Livres by Albert Robida and Octave Uzanne (most read books in the world of all time .txt) đŸ“—Â». Author Albert Robida and Octave Uzanne



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que cette question de la fin des Livres et de leur complĂšte transformation fut agitĂ©e en un petit groupe de Bibliophiles et d’érudits, au cours d’une soirĂ©e mĂ©morable dont le souvenir restera sĂ»rement gravĂ© dans la mĂ©moire de chacun des assistants.

Nous nous Ă©tions rencontrĂ©s, ce soir-lĂ , — qui se trouvait ĂȘtre un des vendredis scientifiques de la Royale Institution, — Ă  la confĂ©rence de sir William Thompson, l’éminent physicien anglais, professeur Ă  l’UniversitĂ© de Glascow, dont le nom est connu des deux mondes depuis la part qu’il prit Ă  la pose du premier cĂąble transatlantique.

Devant un auditoire brillant de savants et de gens du monde, sir William Thompson avait annoncĂ© que mathĂ©matiquement la fin du globe terrestre et de la race humaine devait se produire au juste dans dix millions d’annĂ©es.

Se basant sur les thĂ©ories de Helmholtz que le soleil est une vaste sphĂšre en train de se refroidir, c’est-Ă -dire de se contracter par l’effet de la gravitĂ© sur la masse Ă  mesure que ce refroidissement se produit, sir William, aprĂšs avoir estimĂ© la chaleur solaire Ă  celle qui serait nĂ©cessaire pour dĂ©velopper une force de 476,000 millions de chevaux-vapeur par mĂštre carrĂ© superficiel de sa photosphĂšre, avait Ă©tabli que le rayon de la photosphĂšre se raccourcit d’un centiĂšme environ en 2,000 ans et que l’on pouvait fixer l’heure prĂ©cise oĂč la tempĂ©rature deviendrait insuffisante pour entretenir la vie sur notre planĂšte.

Le maĂźtre physicien nous avait non moins surpris en abordant la question de l’anciennetĂ© de la terre, dont il dĂ©veloppait la thĂšse ainsi qu’un problĂšme de mĂ©canique pure; il ne lui attribuait point un passĂ© supĂ©rieur Ă  une vingtaine de millions d’annĂ©es, en dĂ©pit des gĂ©ologues et des naturalistes, et il montrait la vie venant Ă  la terre dĂšs la naissance du soleil, quelle qu’ait Ă©tĂ© l’origine de cet astre fĂ©condant, soit par le rĂ©sultat de l’éclatement d’un monde prĂ©existant, soit par celui de la con-densation de nĂ©buleuses antĂ©rieurement diffuses.

Nous Ă©tions sortis de la Royale Institution trĂšs Ă©mus par les grands problĂšmes que le savant professeur de Glascow s’était efforcĂ© de rĂ©soudre scientifiquement devant son auditoire, et, l’esprit endolori, presque Ă©crasĂ© par l’énormitĂ© des chiffres avec lesquels sir William Thompson avait jonglĂ©, nous revenions, silencieux, en un groupe de huit personnages diffĂ©rents, philologues, historiens, journalistes, statisticiens et simples curieux mondains, marchant deux par deux, le long d’Albemarle street et de Piccadilly.

L’un de nous, Edward Lembroke, nous entraĂźna Ă  souper au Junior Athenaeum Club et, dĂšs que le champagne eut dĂ©gourdi les cerveaux songeurs, ce fut Ă  qui parlerait de la confĂ©rence de sir William Thompson et des destinĂ©es futures de l’humanitĂ©.

James Wittmore se prĂ©occupa longuement de la prĂ©dominance intellectuelle et morale des jeunes continents sur les anciens, vers la fin du siĂšcle prochain. Il laissa entendre que le vieux monde abdiquerait peu Ă  peu son omnipotence et que l’AmĂ©rique prendrait la tĂȘte du mouvement dans la marche du progrĂšs, tandis que l’OcĂ©anie, Ă  peine nĂ©e d’hier, se dĂ©velopperait superbement, dĂ©masquerait ses ambitions et occuperait une des premiĂšres places dans le concert universel des peuples. L’Afrique, ajoutait-il, cette Afrique toujours explorĂ©e et toujours mystĂ©rieuse, dont on dĂ©couvre Ă  chaque instant des contrĂ©es de milliers de milles carrĂ©s, conquise, si pĂ©niblement Ă  la civilisation, malgrĂ© son immense rĂ©servoir d’hommes, ne semble pas appelĂ©e Ă  jouer un rĂŽle proĂ©minent; ce sera le grenier d’abondance des autres continents, il se jouera sur son sol, tour Ă  tour envahi par diffĂ©rents peuples, des parties peu dĂ©cisives. Les masses d’hommes, dans leur violente envie de possĂ©der cette terre vierge, s’y rencontreront, s’y battront et y mourront, mais la civilisation et le progrĂšs ne s’y installeront que dans des milliers d’annĂ©es, alors que la prospĂ©ritĂ© des États-Unis sera sur son dĂ©clin et que de nouvelles et fatales Ă©volutions assigneront un nouvel habitat aux ensemencements du gĂ©nie humain.

Julius Pollok, un doux vĂ©gĂ©tarien et savant naturaliste, se plut Ă  imaginer ce qu’il adviendrait des moeurs humaines, quand, grĂące Ă  la chimie et Ă  la rĂ©alisation des recherches actuelles, l’état de notre vie sociale sera transformĂ© et que notre nourriture, dosĂ©e sous forme de poudres, de sirops, d’opiats, de biscuits, tiendra en un petit volume. Alors plus de boulangers, de bouchers, de marchands de vin, plus de restaurants, plus d’épiciers, quelques droguistes, et chacun libre, heureux, susceptible de subvenir Ă  ses besoins pour quelques sous; la faim biffĂ©e du registre de nos misĂšres, la nature rendue Ă  elle-mĂȘme, toute la surface de notre planĂšte verdoyante ainsi qu’un immense jardin rempli d’ombrages, de fleurs et de gazons, au milieu duquel les ocĂ©ans seront comparables Ă  de vastes piĂšces d’eau d’agrĂ©ment que d’énormes steamers hĂ©rissĂ©s de roues et d’hĂ©lices parcourront Ă  des vitesses de cinquante et soixante noeuds, sans crainte de tangage ou de roulis.

Le cher rĂȘveur, poĂšte en sa maniĂšre, nous annonçait ce retour Ă  l’ñge d’or et aux moeurs primitives, cette universelle rĂ©surrection de l’antique vallĂ©e de TempĂ© pour la fin du XXe siĂšcle ou le dĂ©but du XXIe. Selon lui, les idĂ©es chĂšres Ă  lady Tennyson triompheraient Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance, le monde cesserait d’ĂȘtre un immonde abattoir de bĂȘtes paisibles, un affreux charnier dressĂ© pour notre gloutonnerie et deviendrait un jardin dĂ©licieux consacrĂ© Ă  l’hygiĂšne et aux plaisirs des yeux. La vie serait respectĂ©e dans les ĂȘtres et dans les plantes, et dans ce nouveau paradis retrouvĂ© ainsi qu’en un MusĂ©e des CrĂ©ations de Dieu, on pourrait inscrire partout cet avis au promeneur: PriĂšre de ne pas toucher.

La prĂ©diction idĂ©aliste de notre ami Julius Pollok n’eut qu’un succĂšs relatif; on reprocha Ă  son programme un peu de monotonie et un excĂšs de religiositĂ© panthĂ©iste; il sembla Ă  quelques-uns qu’on s’ennuierait ferme dans son Eden reconstruit, au bĂ©nĂ©fice du capital social de tout l’Univers, et l’on vida quelques verres de champagne de plus afin de dissiper la vision de cet avenir lactĂ© rendu aux pastorales, aux gĂ©orgiques, Ă  toutes les horreurs de la vie inactive et sans lutte.

« Utopie que tout cela! S’écria mĂȘme l’humoriste John Pool; les animaux, mon cher Pollok, ne suivront pas votre progrĂšs de chimiste et continueront Ă  s’entre-dĂ©vorer selon les lois mystĂ©rieuses de la crĂ©ation; la mouche sera toujours le vautour du microbe, de mĂȘme que l’oiseau le plus inoffensif est l’aigle de la mouche, le loup s’offrira encore des gigots de moutons et la paisible brebis continuera comme par le passĂ© Ă  ĂȘtre la panthĂšre de l’herbe. Suivons la loi commune qui rĂ©git l’évolution du monde et, en attendant que nous soyons dĂ©vorĂ©s, dĂ©vorons. »

LOISIRS LITTÉRAIRES AU XXe SIÉCLE

Arthur Blackcross, peintre et critique d’art mystique, Ă©sotĂ©rique et symboliste, esprit trĂšs dĂ©licat et fondateur de la dĂ©jĂ  cĂ©lĂšbre École des EsthĂštes de demain, fut sollicitĂ© de nous exprimer ce qu’il pensait devoir advenir de la peinture d’ici un siĂšcle et plus. Je crois pouvoir rĂ©sumer exactement son petit discours dans les quelques lignes qui suivent:

« Ce que nous appelons l’Art moderne est-il vraiment un art, et le nombre d’artistes sans vocation qui l’exercent mĂ©diocrement avec apparence de talent ne dĂ©montre-t-il pas suffisamment qu’il est plutĂŽt un mĂ©tier oĂč l’ñme crĂ©atrice fait dĂ©taut ainsi que la vision? — Peut-on donner le nom d’oeuvres d’art aux cinq-sixiĂšmes des tableaux et statues qui encombrent nos salons annuels, et compte-t-on vraiment beaucoup de peintres ou de statuaires qui soient des crĂ©ateurs originaux?

« Nous ne voyons que des copies de toute sorte: copies des vieux maĂźtres accommodĂ©s au goĂ»t moderne, reconstitutions toujours fausses d’époques Ă  jamais disparues, copies banales de la nature vue avec un oeil de photographe, copies mĂ©ticuleuses et mosaĂŻquĂ©es fournissant ces affreux petits sujets de genre qui ont illustrĂ© Meissonier, rien de neuf, rien qui nous sorte de notre humanitĂ©! Le devoir de l’art, cependant, que ce soit par la musique, la poĂ©sie ou la peinture, est de nous en sortir Ă  tout prix et de nous faire planer un instant dans des sphĂšres irrĂ©elles oĂč nous puissions faire comme une cure d’aĂ©rothĂ©rapie idĂ©aliste.

« Je crois donc, continua Blackcross, que l’heure est proche oĂč l'Univers entier sera saturĂ© de tableaux, paysages mornes, figures mythologiques, Ă©pisodes historiques, natures mortes et autres oeuvres quelconques dont les nĂšgres mĂȘmes ne voudront plus; ce sera le moment bĂ©ni oĂč la peinture mourra de faim; les gouvernements comprendront peut-ĂȘtre enfin la lourde folie qu’ils ont commise en ne dĂ©courageant pas systĂ©matiquement les arts, ce qui est la seule façon pratique de les protĂ©ger en les exaltant. Dans quelques pays rĂ©solus Ă  une rĂ©forme gĂ©nĂ©rale, les idĂ©es des iconoclastes prĂ©vaudront; on brĂ»lera les musĂ©es pour ne pas influencer les gĂ©nies naissants, on proscrira la banalitĂ© sous toutes ses formes, c’est-Ă -dire la reproduction de tout ce qui nous touche, de tout ce que nous voyons, de tout ce que l’illustration, la photographie ou le thĂ©Ăątre peut nous exprimer d’une façon suffisante, et l’on poussera l’art, enfin rendu Ă  sa propre essence, vers les rĂ©gions Ă©levĂ©es oĂč nos rĂȘveries cherchent toujours des voies, des figures et des symboles.

« L’art sera appelĂ© Ă  exprimer les choses qui semblent intraduisibles, Ă  Ă©veiller en nous, par la gamme des couleurs, des sensations musicales, Ă  atteindre notre appareil cĂ©rĂ©bral dans toutes ses sensibilitĂ©s mĂȘme les plus insaisissables, Ă  envelopper nos multiformes voluptĂ©s esthĂ©tiques d’une ambiance exquise, Ă  faire chanter dans un accord rationnel toutes les sensations de nos organes les plus dĂ©licats; il violentera le mĂ©canisme de notre pensĂ©e et s’efforcera de renverser quelques-unes de ces barriĂšres matĂ©rielles qui emprisonnent notre intelligence, esclave des sens qui la font vivre.

« L’art sera alors une aristocratie fermĂ©e; la production sera rare, mystique, dĂ©vote, supĂ©rieurement personnelle. Cet art comprendra peut-ĂȘtre dix Ă  douze apĂŽtres par chaque gĂ©nĂ©ration et, qui sait! une centaine au plus de disciples fervents.

« En dehors de lĂ , la photographie en couleur, la photogravure, l’illustration documentĂ©e suffiront Ă  la satisfaction populaire. Mais les salons Ă©tant interdits, les paysagistes ruinĂ©s par la photopeinture, les sujets d’histoire Ă©tant posĂ©s dĂ©sormais par des modĂšles suggestionnĂ©s, exprimant Ă  la volontĂ© de l'opĂ©rateur la douleur, l’étonnement, l’accablement, la terreur ou la mort, toute la peinturographie en un mot devenant une question de procĂ©dĂ©s mĂ©caniques trĂšs divers et trĂšs exacts, comme une nouvelle branche commerciale, il n’y aura plus de peintres au XXIe siĂšcle, il y aura seulement quelques saints hommes, vĂ©ritables fakirs de l’idĂ©e et du beau qui, dans le silence et l’incomprĂ©hension des masses, produiront des chefs-d’oeuvre dignes de ce nom. »

Arthur Blackcross dĂ©veloppa lentement et minutieusement sa vision d’avenir, non sans succĂšs, car notre visite Ă  la Royale AcadĂ©mie n’avait guĂšre Ă©tĂ©, cette annĂ©e-lĂ , plus rĂ©confortante que celles faites Ă  Paris Ă  nos deux grands bazars de peinture nationale, soit au Champ de Mars, soit aux Champs-ÉlysĂ©es. On Ă©pilogua quelque temps sur les idĂ©es gĂ©nĂ©rales exposĂ©es par notre convive symboliste, et ce fut le fondateur lui-mĂȘme de l’École des EsthĂštes de demain qui changea le cours de la conversation en m’apostrophant brusquement: « Eh bien! mon cher bibliophile, ne parlez-vous pas Ă  votre tour; ne nous direz-vous pas ce qu’il adviendra des lettres, des littĂ©rateurs et des livres d’ici quelque cent ans? — Puisque nous rĂ©formons ce soir Ă  notre guise la sociĂ©tĂ© future, apportant chacun un rayon lumineux dans la sombre nuit des siĂšcles Ă  venir, Ă©clairez- nous de votre propre phare tournant, projetez votre lueur Ă  l’horizon. »

Ce furent des: « Oui! oui. . . » des sollicitations pressantes et cordiales, et, comme nous Ă©tions en petit comitĂ©, qu’il faisait bon s’écouter penser et que l’atmosphĂšre de ce coin de club Ă©tait chaude, sympathique et agrĂ©able, je n’hĂ©sitai pas Ă  improviser ma confĂ©rence.

La voici: « Ce que je pense de la destinée des livres, mes chers amis.

« La question est intĂ©ressante et me passionne d’autant plus que je ne me l’étais jamais posĂ©e jusqu’à cette heure prĂ©cise de notre rĂ©union.

« Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de papier imprimĂ©, ployĂ©, cousu, brochĂ© sous une couverture annonçant le titre de l’ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point, — et que les progrĂšs de l’électricitĂ© et de la mĂ©canique moderne m’interdisent de croire, — que l’invention de Gutenberg puisse ne pas tomber plus ou moins prochainement en dĂ©suĂ©tude comme interprĂšte de nos productions intellectuelles.

« L’imprimerie que Rivarol appelait si judicieusement « l’artillerie de « la pensĂ©e » » et dont Luther disait qu’elle est le dernier et le suprĂȘme don par lequel Dieu avance les choses de l’Évangile, l’Imprimerie qui a changĂ© le sort de l’Europe et qui, surtout depuis deux siĂšcles, gouverne l’opinion, par le livre, la brochure et le journal; l’imprimerie qui, Ă dater de 1436, rĂ©gna si despotiquement sur nos esprits, me semble menacĂ©e de mort, Ă  mon avis, par les divers enregistreurs du son qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©couverts et qui peu Ă  peu vont largement se perfectionner.

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