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Book online «La Fin Des Livres by Albert Robida and Octave Uzanne (most read books in the world of all time .txt) đŸ“—Â». Author Albert Robida and Octave Uzanne



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« MalgrĂ© les progrĂšs Ă©normes apportĂ©s successivement dans la science des presses, en dĂ©pit des machines Ă  composer faciles Ă  conduire et qui fournissent des caractĂšres neufs fraĂźchement moulĂ©s dans des matrices mobiles, il me paraĂźt que l’art oĂč excellĂšrent successivement Fuster, Schoeffer, Estienne et Vascosan, Alde Manuce et Nicolas Jenson, a atteint Ă  son apogĂ©e de perfection, et que nos petits-neveux ne confieront plus leurs ouvrages Ă  ce procĂ©dĂ© assez vieillot et en rĂ©alitĂ© facile Ă  remplacer par la phonographie encore Ă  ses dĂ©buts. »

Ce fut un toile d’interruptions et d’interpellations parmi mes amis et auditeurs, des: oh! Ă©tonnĂ©s, des: ah! ironiques, des: eh! eh! remplis de doute et, se croisant, de furieuses dĂ©nĂ©gations: « Mais c’est impossible!... Qu’entendez-vous par lĂ ? » J’eus quelque peine Ă  reprendre la parole pour m’expliquer plus Ă  loisir.

« Laissez-moi vous dire, trĂšs impĂ©tueux auditeurs, que les idĂ©es que je vais vous exposer sont d’autant moins affirmatives qu’elles ne sont

aucunement mĂ»ries par la rĂ©flexion et que je vous les sers telles qu’elles m’arrivent, avec une apparence de paradoxe; mais il n’y a guĂšre que les paradoxes qui contiennent des vĂ©ritĂ©s, et les plus folles prophĂ©ties des philosophes du XVIIIe siĂšcle se sont aujourd’hui dĂ©jĂ  en partie rĂ©alisĂ©es.

« Je me base sur cette constatation indĂ©niable que l’homme de loisir repousse chaque jour davantage la fatigue

et qu’il recherche avidement ce qu’il appelle le confortable, c’est-Ă -dire toutes les occasions de mĂ©nager autant que possible la dĂ©pense et le jeu de ses organes. Vous admettrez bien avec moi que la lecture, telle que nous la pratiquons aujourd’hui, amĂšne vivement une grande lassitude, car non seulement elle exige de notre cerveau une attention soutenue qui consomme une forte partie de nos phosphates cĂ©rĂ©braux, mais encore elle ploie notre corps en diverses attitudes lassantes. Elle nous force, si nous lisons un de vos grands journaux, format du Times, Ă  dĂ©ployer une certaine habiletĂ© dans l’art de retourner et de plier les feuilles; elle surmĂšne nos muscles tenseurs, si nous tenons le papier largement ouvert; enfin, si c’est au livre que nous nous adressons, la nĂ©cessitĂ© de couper les feuillets, de les chasser tour Ă tour l’un sur l’autre produit, par menus heurts successifs, un Ă©nervement trĂšs troublant Ă  la longue.

« Or, l’art de se pĂ©nĂ©trer de l’esprit, de la gaietĂ© et des idĂ©es d’autrui demanderait plus de passivitĂ©; c’est ainsi que dans la conversation notre cerveau conserve plus d’élasticitĂ©, plus de nettetĂ© de perception, plus de bĂ©atitude et de repos que dans la lecture, car les paroles qui nous sont transmises par le tube auditif nous donnent une vibrance spĂ©ciale des cellules qui, par un effet constatĂ© par tous les physiologistes actuels et passĂ©s, excite nos propres pensĂ©es.

« Je crois donc au succĂšs de tout ce qui flattera et entretiendra la paresse et l’égoĂŻsme de l’homme; l’ascenseur a tuĂ© les ascensions dans les maisons; le phonographe dĂ©truira probablement l’imprimerie. Nos yeux sont faits pour voir et reflĂ©ter les beautĂ©s de la nature et non pas pour s’user Ă  la lecture des textes; il y a trop longtemps qu’on en abuse, et il n’est pas besoin d’ĂȘtre un savant ophtalmologiste pour connaĂźtre la sĂ©rie des maladies qui accablent notre vision et nous astreignent Ă  emprunter les artifices de la science optique.

« Nos oreilles, au contraire, sont moins souvent mises Ă  contribution; elles s’ouvrent Ă  tous les bruits de la vie, mais nos tympans demeurent moins irritĂ©s; nous ne donnons pas une excessive hospitalitĂ© dans ces golfes ouverts sur les sphĂšres de notre intelligence, et il me plaĂźt d’imaginer qu’on dĂ©couvrira bientĂŽt la nĂ©cessitĂ© de dĂ©charger nos yeux pour charger davantage nos oreilles. Ce sera une Ă©quitable compensation apportĂ©e dans notre Ă©conomie physique gĂ©nĂ©rale. »

« TrĂšs bien, trĂšs bien! » soulignaient mes camarades attentifs. « Mais la mise en pratique, cher ami, nous vous attendons lĂ . Comment supposez-vous qu’on puisse arriver Ă  construire des phonographes Ă  la fois assez portatifs, lĂ©gers et rĂ©sistants pour enregistrer sans se dĂ©traquer de longs romans qui, actuellement, contiennent quatre, cinq cents pages; sur quels cylindres de cire durcie clicherez-vous les articles et nouvelles du journalisme; enfin, Ă  l’aide de quelles piles actionnerez-vous les moteurs Ă©lectriques de ces futurs phonographes? Tout cela est Ă  expliquer et ne nous paraĂźt pas d’une rĂ©alisation aisĂ©e. »

« Tout cela cependant sefera, repris-je; il y aura des cylindres inscripteurs lĂ©gers comme des porte-plumes en celluloĂŻd, qui contiendront cinq et six cents mots et qui fonctionneront sur des axes trĂšs tĂ©nus qui tiendront dans la poche; toutes les vibrations de la voix y seront reproduites; on obtiendra la perfection des appareils comme on obtient la prĂ©cision des montres les plus petites et les plus bijoux; quant Ă  l’électricitĂ©, on la trouvera souvent sur l’individu mĂȘme, et chacun actionnera avec facilitĂ© par son propre courant fluidique, ingĂ©nieusement captĂ© et canalisĂ©, les appareils de poche, de tour de cou ou de bandouliĂšre qui tiendront dans un simple tube semblable Ă  un Ă©tui de lorgnette.

« Pour le livre, ou disons mieux, car alors les livres auront vĂ©cu, pour le novel ou storyographe, l’auteur deviendra son propre Ă©diteur, afin d’éviter les imitations et contrefaçons; il devra prĂ©alablement se rendre au Patent Office pour y dĂ©poser sa voix et en signer les notes basses et hautes, en donnant des contre-auditions nĂ©cessaires pour assurer les doubles de sa consignation.

« AussitĂŽt cette mise en rĂšgle avec la loi, l’auteur parlera son oeuvre et la clichera sur des rouleaux enregistreurs et mettra en vente lui-mĂȘme ses cylindres patentĂ©s, qui seront livrĂ©s sous enveloppe Ă  la consomma-tion des auditeurs.

« On ne nommera plus, en ce temps assez proche, les hommes de lettres des Ă©crivains, mais plutĂŽt des narrateurs; le goĂ»t du style et des phrases pompeusement parĂ©es se perdra peu Ă  peu, mais l’art de la diction prendra des proportions invraisemblables; il y aura des narrateurs trĂšs recherchĂ©s pour l’adresse, la sympathie communicative, la chaleur vibrante, la parfaite correction et la ponctuation de leurs voix.

« Les dames ne diront plus, parlant d’un auteur Ă  succĂšs: « J’aime tant sa façon d’écrire!» Elles soupireront toutes frĂ©missantes: « Oh! ce diseur a une voix qui pĂ©nĂštre, qui charme, qui Ă©meut; ses notes graves sont adorables, ses cris d’amours dĂ©chirants; il vous laisse toute brisĂ©e d’émotion aprĂšs l’audition de son oeuvre: c’est un ravisseur d’oreille incomparable. »

L’ami James Wittmore m’interrompit: « Et les bibliothĂšques, qu’en ferez-vous, mon cher ami des livres? » « Les bibliothĂšques deviendront les phonographothĂšques ou bien les clichĂ©othĂšques. Elles contiendront sur des Ă©tages de petits casiers successifs, les cylindres bien Ă©tiquetĂ©s des oeuvres des gĂ©nies de l’humanitĂ©. Les Ă©ditions recherchĂ©es seront celles qui auront Ă©tĂ© autophonographiĂ©es par des artistes en vogue: on se disputera, par exemple, le MoliĂšre de Coquelin,

LITTÉRATURE ET MUSIQUE « AT HOME »

le Shakespeare d’Irving, le Dante de Salvini, le Dumas fils d’ÉlĂ©onore Duce, le Hugo de Sarah Bernhardt, le Balzac de Mounet Sully, tandis que Goethe, Milton, Byron, Dickens, Emerson, Tennyson, Musset et autres auront Ă©tĂ© vibrĂ©s sur cylindres par des diseurs de choix.

« Les bibliophiles, devenus les phonographophiles, s’entoureront encore d’oeuvres rares; ils donneront comme auparavant leurs cylindres Ă  relier en des Ă©tuis de maroquin ornĂ©s de dorures fines et d’attributs symboliques. Les titres se liront sur la circonfĂ©rence de la boĂźte et les piĂšces les plus rares contiendront des cylindres ayant enregistrĂ© Ă  un seul exemplaire la voix d’un maĂźtre du thĂ©Ăątre, de la poĂ©sie ou de la musique ou donnant des variantes imprĂ©vues et inĂ©dites d’une oeuvre cĂ©lĂšbre.

« Les narrateurs, auteurs gais, diront le comique de la vie courante, s’applique-ront Ă  rendre les bruits qui accompagnent et ironisent parfois, ainsi qu’en une orchestration de la nature, les Ă©changes de conversations banales, les sursauts joyeux des foules assemblĂ©es,

les dialectes Ă©trangers; les Ă©vocations de marseillais ou d’auvergnat amuseront les Français comme le jargon des Irlandais et des Westermen excitera le rire des AmĂ©ricains de l’Est.

« Les auteurs privĂ©s du sentiment des harmonies de la voix et des flexions nĂ©cessaires Ă  une belle diction emprunteront le secours de gagistes, acteurs ou chanteurs pour emmagasiner leur oeuvre sur les complaisants cylindres. Nous avons aujourd’hui nos secrĂ©taires et nos copistes; il y aura alors des phonistes et des clamistes, interprĂ©tant les phrases qui leur seront dictĂ©es par les crĂ©ateurs de littĂ©ratures.

« Les auditeurs ne regretteront plus le temps oĂč on les nommait lecteurs; leur vue reposĂ©e, leur visage rafraĂźchi, leur nonchalance heureuse indiqueront tous les bienfaits d’une vie contemplative.

« Étendus sur des sophas ou bercĂ©s sur des rocking-chairs, ils jouiront, silencieux, des merveilleuses aventures dont des tubes flexibles apporteront le rĂ©cit dans leurs oreilles dilatĂ©es par la curiositĂ©.

« Soit Ă  la maison, soit Ă  la promenade, en parcourant pĂ©destrement les sites les plus remarquables et pittoresques, les heureux auditeurs Ă©prouveront le plaisir ineffable de concilier l’hygiĂšne et l’instruction, d’exercer en mĂȘme temps leurs muscles et de nourrir leur intelligence, car il se fabriquera des phono-opĂ©ragraphes de poche, utiles pendant l’excursion dans les montagnes des Alpes ou Ă  travers les Cañons du Colorado.

— Votre rĂȘve est trĂšs aristocratique, insinua l’humanitaire Julius Pollok; l’avenir sera sans aucun doute plus dĂ©mocratique. J’aimerais, je vous l’avoue, Ă  voir le peuple plus favorisĂ©.

— Il le sera, mon doux poĂšte, repris-je allĂ©grement, en continuant Ă  dĂ©velopper ma vision future, rien ne manquera au peuple sur ce point; il pourra se griser de littĂ©rature comme d’eau claire, Ă  bon compte, car il aura ses distributeurs littĂ©raires des rues comme il a ses fontaines.

« A tous les carrefours des villes, des petits Ă©difices s’élĂšveront autour desquels pendront, Ă  l’usage des passants studieux, des tuyaux d’audition correspondant Ă  des oeuvres faciles Ă  mettre en action par la seule pression sur un bouton indicateur. D’autre part, des sortes d’automatic libraries, mues par le dĂ©clenchement opĂ©rĂ© par le poids d’un penny jetĂ© dans une ouverture, donneront pour cette faible somme les oeuvres de Dickens, de Dumas pĂšre ou de Longfellow, contenues sur de longs rouleaux faits pour ĂȘtre actionnĂ©s Ă  domicile.

« Je vais mĂȘme au delĂ : l’auteur qui voudra exploiter personnellement ses oeuvres Ă  la façon des trouvĂšres du moyen Ăąge et qui se plaira Ă  les colporter de maison en maison pourra en tirer un bĂ©nĂ©fice modĂ©rĂ© et toutefois rĂ©munĂ©rateur en donnant en location Ă  tous les habitants d’un mĂȘme immeuble une infinitĂ© de tuyaux qui partiront de son magasin d’audition, sorte d’orgue portĂ© en sautoir pour parvenir par les fenĂȘtres ouvertes aux oreilles des locataires dĂ©sireux un instant de distraire leur loisir ou d’égayer leur solitude.

« Moyennant quatre ou cinq cents par heure, les petites bourses, avouez-le, ne seront pas ruinĂ©es et l’auteur vagabond encaissera des droits relativement importants par la multiplicitĂ© des auditions fournies Ă  chaque maison d’un mĂȘme quartier.

« Est-ce tout?... non pas encore, le phonographisme futur s’offrira Ă  nos petits-fils dans toutes les circonstances de la vie; chaque table de restaurant sera munie de son rĂ©pertoire d’oeuvres phonographiĂ©es, de mĂȘme les voitures publiques, les salles d’attente, les cabinets des steamers, les halls et les chambres d’hĂŽtel possĂšderont des phonographotĂšques Ă  l’usage des passagers. Les chemins de fer remplaceront les parloir-cars par des sortes de Pullman circulating Libraries qui feront oublier aux voyageurs les distances parcourues, tout en laissant Ă  leurs regards la possibilitĂ© d’admirer les paysages des pays traversĂ©s.

« Je ne saurais entrer dans les dĂ©tails techniques sur le fonctionnement de ces nouveaux interprĂštes de la pensĂ©e humaine sur ces multiplicateurs de la parole; mais soyez sĂ»r que le livre sera abandonnĂ© par tous les habitants du globe et que l’imprimerie cessera absolument d’avoir cours, en dehors des services qu’elle pourra rendre encore au commerce et aux relations privĂ©es, et qui sait si la machine Ă  Ă©crire, alors trĂšs dĂ©veloppĂ©e, ne suffira pas Ă  tous les besoins.

— Et le journal quotidien, me direz-vous, la Presse si considĂ©rable en Angleterre et en AmĂ©rique, qu’en ferez- vous?

— N’ayez crainte, elle suivra la voie gĂ©nĂ©rale, car la curiositĂ© du public ira toujours grandissant et on ne se contentera bientĂŽt plus des interviews imprimĂ©es et rapportĂ©es plus ou moins exactement; on voudra entendre l’interviĂ©wĂ©, ouĂŻr le discours de l’orateur Ă  la mode,. connaĂźtre la chansonnette actuelle, apprĂ©cier la voix des divas qui ont dĂ©butĂ© la veille, etc.

« Qui dira mieux tout cela que le futur grand journal phonographique?

« Ce seront des voix du monde entier qui se trouveront centralisĂ©es dans les rouleaux de celluloĂŻd que la poste apportera chaque matin aux auditeurs abonnĂ©s; les valets de chambre et les chambriĂšres au-ront l’habitude de les disposer dans leur axe sur les deux paliers de la machine motrice et ils apporteront les nouvelles au maĂźtre

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