Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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A Mon Advis Les Fleurs Qui De Moy Yssent?
Je Lui Respond: Toutes Tes Fleurs Périssent
Incontinant Que Yver Les Vient Toucher;
Mais En Tout Temps De Ma Dame Florissent
Les Grans Vertuz, Que Mort Ne Peult Sécher.
Le Dizain Du Prince À Certainement De Quoi Lutter En Grâce Avec Celui
De Marot; On Ne Peut Toutefois S'empêcher De Remarquer Que, Dans Le
_Recueil_, L'un Est Bien Voisin De L'autre; Et, En Général, Quand On
Trouve Réunis Un Certain Nombre De Morceaux Qu'il Faut Rapporter À
Saint-Gelais Ou À Marot, C'est Presque Toujours Aux Environs De Ces
Endroits-Là Que Se Rencontrent Aussi Les Petites Pièces Du Roi Qui
Peuvent Passer Pour Les Meilleures. On N'est Jamais Sûr Que La Ligne De
Démarcation Tombe Exactement, Et Qu'il Ne Se Soit Pas Introduit Quelque
Confusion Sur Ces Points Limitrophes: _Lucanus An Appulus Anceps_[9].
[Note 9: Ainsi L'éditeur A Soin D'indiquer Que Les Pièces De La Page
96 Sont De Saint-Gelais: Mais, En Y Regardant Bien, Il Se Trouve Que
Le Huitain: _Cessez, Mes Yeulx_, Etc., De La Page 94, Est Également De
L'aumônier-Poëte.]
Pour Ce Qui Est Du Joli Dizain De L'_Aurore_ En Particulier, Il Paraîtra
Piquant D'avoir Encore À Le Rapprocher D'une Épigramme De Q. Lutatius
Catulus, Que Rapporte Cicéron Dans Le Traité _De La Nature Des Dieux_.
C'est Une Épigramme Tout À Fait _À La Grecque,_ Mais La Similitude De
L'image Reste Frappante:
Constiteram Exorientem Auroram Forte Salutans,
Quum Subito A Loeva Roscius Exoritur.
Pace Mihi Liceat, Coelestes, Dicere Vestra,
Mortalis Visus Pulchrior Esse Deo.
Rien De Plus Naturel À Supposer Qu'une Rencontre D'idées En Semblable
Veine: Ce Qui Ne Laisse Pas Ici De Donner À Penser, C'est Cette Petite
Circonstance Qui Se Retrouve Dans Les Deux Pièces, _A Loeva, À Main
Senestre._ Est-Ce Pur Hasard? Serait-Ce Qu'un Roi A Pu Avoir De Ces
Réminiscences D'érudit?
Au Reste, Ce N'est Pas Nous Qui Refuserons À François Ier Des Traits
D'emprunt Ou De Rencontre, Des Saillies Heureuses, Des Maximes Galantes
Et Un Peu Subtiles, Quand Il Suffit D'un Petit Nombre De Vers Pour Les
Exprimer; Il N'y A Rien Là Qui Excède La Portée De Talent Qu'on Est
En Droit D'attendre D'un Prince Spirituel Et Qui Avait Eu De Tristes
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 37Loisirs Pour S'exercer. On Regrette Plutôt De N'avoir Pas À Noter Plus
Souvent Chez Lui Des Bagatelles Aussi Bien Tournées Que Celle-Ci Par
Exemple:
Elle Jura Par Ses Yeulx Et Les Miens,
Ayant Pitié De Ma Longue Entreprise,
Que Mes Malheurs Se Tourneroient En Biens;
Et Pour Cela Me Fut Heure Promise.
Je Crois Que Dieu Les Femmes Favorise:
Car De Quatre Yeulx Qui Furent Parjurez,
Rouges Les Miens Devindrent, Sans Faintise;
Les Siens En Sont Plus Beaulx Et Azurez.
Sachons Seulement Que Ce N'est Là Qu'une Très-Agréable Paraphrase, Mais
Cette Fois Une Paraphrase Évidente De Ces Vers D'ovide En Ses _Amours_
(Liv. Iii, Élég. 3):
Perque Suos Illam Nuper Jurasse Recordor,
Perque Meos Oculos; Et Doluere Mei.
Voici Encore Un Sixain Délicat, Où Le Doux Nenny Est Aux Prises Avec Le
Sourire; Nous Le Donnons Ici Dans Toute Sa Correction:
Le Desir Est Hardy, Mais Le Parler A Honte;
Son Parler Tramble Et Fuyt, L'aultre En Fureur Se Monte;
L'ung Fainct Vouloir Ung Gaing, Dont Il Souhaite Perte;
L'ung Veult Chose Cacher Que L'aultre Fait Apperte;
L'ung S'offre Et Va Courant, L'aultre Mentant Refuse:
Voyez La Pauvre Femme En Son Esprit Confuse.
L'épitaphe D'agnès Sorel Est Connue; Rien N'empêche De Croire À Cette
Improvisation De Cinq Vers, Et De Nouveaux Témoignages Recueillis Par M.
Vallet De Viriville Doivent, Nous Dit-On, En Confirmer L'authenticité.
Mais M. Champollion A Conjecturé Judicieusement, Selon Moi, Que La Pièce
En Tercets: _Doulce, Plaisante, Heureuse Et Agréable Nuict_ (Page 150),
Est Trop Compliquée Pour Être Du Monarque. J'ajouterai, Comme Raison À
L'appui, Que Cette Espèce De Chanson Est Traduite De L'arioste[10], Et
Elle L'a Été Depuis Encore Par D'autres Poëtes Du Xvie Siècle, Par
Olivier De Magny Et Gilles Durant. Le Chanteur Remercie La Nuit D'avoir
Favorisé Son Entreprise Amoureuse, Et Il Part De Là Pour Dénombrer Et
Décrire Avec Complaisance Chaque Détail De Son Aventure. Mellin De
Saint-Gelais, Qui Le Premier A Donné En Français D'autres Imitations
En Vers De L'arioste, A Dû Tremper Dans Celle-Ci. Un Tel Travail De
Traduction Suppose En Effet Une Application Littéraire Qui Tient Au
Métier. Un Roi Peut Rimer Et Fredonner Ses Propres Saillies, Mais Il Ne
S'amuse Guère À Traduire Celles Des Autres[11].
[Note 10: Voir Dans Les _Rime_ De L'arioste Le _Capitole_:
O Piu Che'l Giorno A Me Lucida E Chiara,
Dolce, Gioconda, Avventurosa Notte, Etc.
]
[Note 11: Le Manuscrit De M. Cigongne Contient Aux Dernières Pages
Une Pièce Qui Rappelle Un Peu, Pour Le Motif, La Chanson De L'arioste,
Mais Qui Va Fort Au Delà; Elle Trouverait Sa Vraie Place Dans Un
_Parnasse Satyrique_. Si Cette Espèce De Blason Du Corps Féminin Était
De François Ier, On Devrait Lui Reconnaître Une Vigueur Et Une Haleine
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 38Dont Il N'a Fait Preuve Nulle Part Ailleurs; Mais Tout Y Décèle Une
Verve Exercée Qui Se Sera Mise Au Service De Ses Plaisirs.--Cette Pièce,
Au Reste, N'est Pas Inédite; Elle A Été Insérée Dans Le Recueil Des
_Blasons_ Par Méon (Blason Du Corps); Mais, Sauf Une Ou Deux Corrections
Qui Sont Heureuses, Le Texte De Méon Est Peu Correct, Et Même À La Fin
Il Y A De L'inintelligible.]
Et On Me Permettra D'indiquer Ici Une Observation Qui S'étend À Toute La
Poésie Française Du Xvie Siècle, Et Qui En Détermine Un Caractère. Ce
Qui Arrive Lorsque, Lisant Des Vers De Roi Et De Prince Et Les Trouvant
Agréables, On Se Dit Involontairement: «Mais N'y A-T-Il Point Là Un
Secrétaire-Poëte Caché Derrière?» On Peut Le Répéter Avec Variante En
Lisant Tout Autre Poëte Du Même Siècle; Toujours On Peut Se Demander,
Quand Il S'y Présente Quelque Chose De Frappant Ou De Charmant: «Mais
N'y A-T-Il Point Là-Dessous Quelque Auteur Traduit, Un Ancien Ou Un
Italien?» Prenez Garde En Effet, Cherchez Bien, Rappelez Vos Souvenirs,
Et Tantôt Ce Sera L'arioste Ou Pétrarque, Tantôt Théocrite, Ou Tel
Auteur De L'_Anthologie_, Ou Tel Italien-Latin Du Xve Siècle. Enfin,
Avec Les Écrivains Français De Cette Époque, On Est Sans Cesse Exposé
À Les Croire Originaux, Si On N'est Pas Tout Plein Des Anciens Ou Des
Modernes D'au Delà Des Monts. Ils Traduisent Sans Avertir, Comme, Aux
Figes Précédents, On Copiait Les Textes Latins Des Anciens Sans Avertir
Non Plus Et Sans Citer. Abélard Ramassait, Chemin Faisant, Dans Son
Texte, Des Lambeaux De Saint Augustin. On Était Bien Loin D'agir Ainsi
Dans Une Pensée De Plagiat; Mais La Lecture, La Science, Semblait Alors
Une Si Grande Chose, Qu'elle Se Confondait Avec L'invention; Tout Ce Qui
Arrivait Par Là Était De Bonne Prise. Quand, Au Lieu De Copier, On En
Vint À Traduire, On Se Sentit Encore Plus Autorisé, Et L'on Prit
De Toutes Mains, En Disant Les Noms Des Auteurs Ou En Les Taisant,
Indifféremment.
L'imitation Et La Traduction, Par Voie Ouverte Ou Dérobée, Sont Des
Procédés Inhérents À Toutes Les Phases De La Renaissance. On Les
Pourrait Signaler Jusque Chez Les Troubadours Provençaux, Et Bernard De
Ventadour, Par Exemple, Ne Se Fait Faute De Traduire Ovide Ou Tibulle.
Mais, À Cet Égard, Le Xvie Siècle En France Dépasse Tout. Dans L'estime
Du Temps, Traduction En Langue Vulgaire Équivalait, Ou Peu S'en Faut,
À Invention. Montaigne A Résumé Avec Originalité Cette Habitude
D'appropriation Savante Dans Son Style Tout Tissu, En Quelque Sorte, De
Textes Anciens: «Il Fault Musser, Dit-Il, Sa Foiblesse Soubz Ces Grands
Crédits.» Quant Aux Poëtes D'alors, Ils N'y Entendent Point Malice
À Beaucoup Près Autant Que Montaigne, Et Ils Sont Aussi Bien Moins
Créateurs Que Lui; Ils Y Mettent Moins De Pensées De Leur Cru; Mais
Souvent, Quand Le Fonds Les Porte, Ils Ont L'expression Heureuse, Forte
Ou Naïve, Et Une Véritable Originalité Se Retrouve Par Là. On Y Est
Trompé, On Se Met À Les Applaudir Et À Les Louer Précisément Pour Ce
Qu'ils Ont Emprunté D'autrui. Ils Ne Méritent Qu'une Part De L'éloge,
Qui Doit Presque Toujours Remonter Plus Haut. Je Noterai Seulement Trois
Ou Quatre Points De Détail, Qui Donneront À Mon Observation Son Vrai
Sens Et Toute Sa Portée.
On Vient De Voir Dans Les _Poésies_ De François Ier Qu'une Des Pièces
Qu'on Y Distingue Pour La Chaleur De Ton Et Le Mouvement Se Trouve Être
Une Traduction De L'arioste. La Jolie Chanson De Des Portes Si Connue De
Toute La Fin Du Siècle, _O Nuit, Jalouse Nuit_, Qui Est La Contre-Partie
De Cette Première Chanson, Et Dans Laquelle Le Poëte Maudit La Nuit Pour
Avoir Contrarié Par Son Trop De Clarté Les Entreprises De L'amant, Est
De Même Une Traduction De L'arioste, Et Rien Dans Les Éditions Du Temps
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 39N'en Avertit. Peu Importait En Effet. Les Hommes Instruits D'alors
Savaient Cela Sans Qu'on Le Leur Dît, Et Ils N'en Admiraient Que Plus Le
Traducteur.
Vous Ouvrez Baïf, Le Plus Infatigable Translateur En Vers Et Qui Ne
Laisse Rien Passer Des Anciens Sans Le Reproduire Bien Ou Mal; Mais
Quelquefois Il Vous Semble Se Reposer, Il Parle En Son Nom; Il A Ses
Gaietés Gauloises, On Le Jurerait, Et Ses Propres Gaillardises. Il Nous
Dira Dans Une Épigramme Qui A Pour Titre: _De Son Amour_:
Je N'aime Ny La Pucelle,
Elle Est Trop Verte...
Je Renvoie Au Feuillet 15 Des _Passe-Temps_. Pour Le Coup, On Croit
Avoir Saisi Chez Le Savant Un Aveu, Une Pointe De Naturel, Un Grain De
Rabelais. Mais Non: Ce N'est Là Qu'une Traduction Encore D'une Épigramme
D'orestes Qu'on Peut Lire Dans L'_Anthologie_[12], Et Que Grotius A Aussi
Traduite. Il Est Vrai Que, Si L'on Compare, Grotius A Bien Moins Réussi
Que Baïf.
[Note 12: _Anthol. Palat., V, 20.]
Dans Un Tout Autre Genre, On Connaît Et L'on Estime Les Comédies De
Larivey. Il Les Donne Pour Les Avoir Faites À _L'imitation Des Anciens
Grecs, Latins Et Modernes Italiens_ Voilà Qui Est Franc; Mais, En Ces
Termes Généraux, L'indication Reste Bien Vague. Que Sera-Ce Si L'on
Regarde De Près? Grosley A Déjà Très-Bien Remarqué Que Ce _Larivey_,
Sous Son Air Champenois, Fils Naturel D'un Des _Giunti_, Fameux
Imprimeurs Italiens, Avait Tourné Et Comme Parodié En Français Le Nom De
Son Père (_L'arrivé, Advena_). Eh Bien, Ce Qu'il A Fait Dans Son Nom,
Il L'a Fait Dans Ses Oeuvres; Il A Traduit Les Pièces De Théâtre Que
Publiaient À Florence Ou Ailleurs Ses Parents
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