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Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗». Author C.-A. Sainte-Beuve



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La Jeunesse,

Au Sein D'une Vertueuse Maturité. Manzoni Le Savait Bien, Lorsqu'il

Rappelait Ce Mot À Fauriel: «L'imagination, Quand Elle S'applique Aux

Idées Morales, Se Fortifie Et Redouble D'énergie Avec L'âge Au Lieu De

Se Refroidir.» Racine, Après Des Années De Silence, En Sort Un Jour Pour

Écrire _Athalie_.

 

Mais Je M'aperçois Que Je M'éloigne, Et Que J'abuse De La Permission De

Moraliser. On M'excusera Du Moins Si J'y Ai Trouvé Un Texte Naturel À

L'occasion D'une Séance Littéraire Aussi Judicieuse, Aussi Régulièrement

Belle, Et Des Plus Honorables Pour L'académie.

 

1er Avril 1846.

 

 

 

 

Lettres De Rancé

Abbé Et Réformateur De La Trappe

 

Recueillies Et Publiées Par M. Gonod, Bibliothécaire De La Ville De

Clermont-Ferrand.

 

Est-Ce Pour Faire Amende Honorable, Pour Faire Pénitence D'avoir Publié

Les Charmants Mémoires Inédits De Fléchier Sur Les Grands-Jours, Que Le

Même Savant Éditeur Nous Donne Aujourd'hui Les Lettres De Rancé? Le Fait

Est Que Ces Agréables Mémoires, Dont Nous Avons Rendu Compte Dans Ce

Journal En Nous Y Complaisant[275], Qui Ont Été Lus Ici De Chacun Avec

Tant D'intérêt Et Qui Ont Singulièrement Rajeuni Et, Pour Tout Dire,

Ravivé La Renommée Sommeillante D'un Grave Prélat, Ont Causé Dans

Le Pays D'auvergne Un Véritable Scandale. On A Essayé De Nier Leur

Authenticité, Comme Si De Tels Récits S'inventaient À Plaisir, Et

Comme Si Une Langue Aussi Exquise Et Aussi Polie Se Retrouvait Ou Se

Fabriquait À Volonté Après Le Moment Unique Où Elle A Pu Naître. Puis

On S'est Rejeté Sur Le Tort Qu'une Semblable Publication Faisait À

La Mémoire De Fléchier, Et On S'est Porté Pour Vengeur De Sa Gloire

Officielle, Comme Si, Après Tout À L'heure Deux Siècles, Il Y Avait Une

Meilleure Recommandation Auprès D'une Postérité Blasée Que De Parvenir

À L'intéresser Encore, À L'instruire Avec Agrément Et À Faire Preuve

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 222

Auprès D'elle Des Diverses Sortes De Qualités Qui Brillent Dans Cet

Écrit Familier, Esprit D'observation, Grâce, Ironie Et Finesse. Enfin

On A Fait Jouer Les Grosses Batteries, Et On A Crié Bien Haut À

L'_Immoralité_ Et À L'_Irréligion_.

 

Le Clergé Et La Noblesse D'auvergne Se Sont Mis À Guerroyer Contre Le

Livre, La Noblesse Surtout; Car On Se Rappelle Qu'elle Ne Fait Pas Une

Très-Belle Figure Dans Les Grands-Jours. De Loyaux Militaires, D'anciens

Officiers De Cavalerie Se Sont Piqués D'honneur; Ils Sont Venus, Plume

En Main, Discuter Le Plus Ou Moins De Convenance Des Historiettes

Racontées Par Le Jeune Abbé Dans La Société De Mme De Caumartin Et

S'inscrire En Faux Contre Ses Plus Insinuantes Malices. Ce Serait À N'y

Pas Croire, Si Nous N'avions Sous Les Yeux Une Brochure Par Laquelle M.

Gonod A Jugé À Propos De Répondre À Ces Pauvretés Qui Ont Fait Orage

Dans Le Pays; Nous Ne Savions Pas Que L'auvergne Fût Si Loin De Paris

Encore. Ce Qu'il Y A De Plus Fâcheux, C'est Qu'on Nous Assure Que

L'éditeur, Pour Couper Court À Ces Criailleries De Chaque Matin, A Pris

Le Parti De Retirer Le Plus D'exemplaires Qu'il A Pu De La Circulation.

L'ensemble De Cette Petite Tracasserie Est Un Trait De Moeurs Locales Au

Xixe Siècle. Nous Savions Bien Que Le Succès Des _Mémoires De Fléchier_

Avait Été Grand; Nous Ne Nous Doutions Pas Qu'il Eût Été Tellement À

Point Et De Circonstance.

 

Tant Il Y A Que M. Gonod Nous Procure Aujourd'hui Une Lecture Tout À

Fait Irréprochable Et Sévère, En Nous Donnant Les _Lettres De Rancé_.

L'ouvrage De M. De Chateaubriand A Ramené La Curiosité Publique Sur Ce

Grand Et Saint Personnage; La Publication De M. Gonod Achèvera De

La Satisfaire. Qu'on Ne S'attende Ici À Rien De Brillant, À Rien De

Flatteur Ni Même D'agréable, À Rien De Ce Que Le Talent, Ce Grand

Enchanteur, Va Évoquer À Distance Et Deviner Ou Créer Plutôt Que De S'en

Passer. On A Dans Ces Lettres Le Véritable Rancé Tout Pur, Parlant En

Personne, Simplement, Gravement, Avec Une Tristesse Monotone, Ou Avec

Une Joie Sans Sourire Qui Ressemble À La Tristesse Elle-Même Et Qui

Ne Se Déride Jamais. On Sent, En Lisant Ces Paroles Unies Et En

S'approchant De Près Du Personnage, Combien Il Y Avait Peu, Dans La

Religion Toute Réelle Et Pratique De Ce Temps-Là, De Cette Poésie

Que Nous Y Avons Mise Après Coup Pour Accommoder L'idée À Notre Goût

D'aujourd'hui Et Pour Nous Reprendre À La Croyance Par L'imagination. Il

Y Avait, Même Du Temps De Rancé, De Ces Gens Du Monde Curieux Et Assez

Zélés Qui Allaient Volontiers Passer Vingt-Quatre Heures À La Trappe

Et Qui S'en Faisaient Une Partie De Dévotion. On Serait Très-Aisément

Disposé Ainsi De Nos Jours; On Irait Faire Volontiers Un Pèlerinage Dont

On Parlerait Longtemps Ensuite, Et Dont On Raconterait Au Public Les

Moindres Circonstances Et Les _Impressions_; Mais Il Y A Dans L'idée De

Durée Attachée À Une Telle Vie Quelque Chose Qui Effraie, Qui Glace Et

Qui Rebute; Or Ce Quelque Chose, On Le Ressent Inévitablement À Chaque

Page Des Lettres Du Réformateur De La Trappe. Rien De Moins Poétique, Je

Vous Assure, Rien De Moins Littéraire Dans Le Sens Moderne Du Mot,

Et J'ajouterai Presque Comme Une Conséquence Immédiate, Rien De Plus

Véritablement Humble Et De Plus Sincère.

 

Les Lettres Recueillies Par M. Gonod Sont De Différentes Dates Et

Adressées À Plusieurs Personnes; Sauf Un Très-Petit Nombre, Elles Se

Divisent Naturellement En Trois Parts: 1° Celles À L'abbé Favier,

L'ancien Précepteur De Rancé; 2° Celles À L'abbé Nicaise, De Dijon, L'un

Des Correspondants Les Plus Actifs Du Xviie Siècle, Et Qui Tenait Assez

Lieu À Rancé De Gazette Et De _Journal Des Savants_; 3° Celles À La

Duchesse De Guise, Fille De Gaston D'orléans Et L'une Des Âmes Du Dehors

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 223

Qui S'étaient Rangées Sous La Direction De L'austère Abbé.

 

Quoique Les Lettres Adressées À L'abbé Favier Soient, Au Moins Au Début,

D'une Date Très-Antérieure À La Conversion Et À La Réforme De Rancé, On

Y Chercherait Vainement Quelque Trace De Ses Dissipations Mondaines Et

De Ses Brillantes Erreurs. Le Jeune Abbé Se Contentait, En Ces Années

Fougueuses, D'obéir À Ses Passions, Sans En Faire Parade Par Lettres: Ce

Sont D'ailleurs De Ces Choses Qu'on N'a Guère Coutume D'aller Raconter À

Son Ancien Précepteur. Celui-Ci Avait Laissé Le Jeune Abbé En Train De

Fortes Études Et De Thèses Théologiques; Il Se Le Figurait Toujours

Sous Cet Aspect: «Vous Avez Trop Bonne Opinion De Ma Vocation À L'état

Ecclésiastique, Lui Écrivait Rancé: Pourvu Qu'elle Ait Été Agréable À

Dieu, C'est Tout Ce Que Je Désire...» On A Beau Relire Et Presser Les

Lettres De Cette Date, On Y Trouve De Bons Et Respectueux Sentiments

Pour Son Ancien Précepteur, Un Vrai Ton De Modestie Quand Il Parle De

Lui-Même Et De Ses Débuts Dans L'école Ou Dans La Chaire, De La Gravité,

De La Convenance, Mais Pas Le Plus Petit Bout D'oreille De L'amant De

Mme De Montbazon.

 

Après La Mort De Cette Dame Et Pendant Les Premiers Temps De La Retraite

Que Fit Rancé À Sa Terre De Veretz, Il Se Développe Un Peu Plus Et

Laisse Entrevoir À Son Digne Précepteur Quelque Chose De L'état De Son

Âme: «Les Marques De Votre Souvenir M'étant Infiniment Chères, Lui

Écrit-Il À La Date Du 17 Juillet 1658, J'ai Lu Vos Deux Lettres Avec

Tous Les Sentiments Que Je Devois, Quoique Je Me Sois Vu Si Éloigné De

Ce Que Vous Imaginez Que Je Suis, Qu'assurément J'y Ai Trouvé Beaucoup

De Confusion. Je Vous Supplie De Ne Me La Pas Donner Si Entière Une

Autre Fois, Et De Croire Que, Hors Une Volonté Fort Foible De M'attacher

Aux Choses De Mon Devoir Plutôt Qu'à Celles Qui N'en Sont Pas, Il N'y A

Rien En Moi Qui Ne Soit Tout À Fait Misérable Et Qui Ne Soit Digne De

Votre Compassion Bien Plus Que De Votre Estime.» C'est En Ces Termes

Voilés, Mais Significatifs Pour Nous, Plus Significatifs Peut-Être

Qu'ils Ne L'étaient Pour Le Bon Abbé Favier, Que Rancé Donne Les

Premiers Signes De Son Repentir. Ce Repentir De Sa Part Est D'autant

Plus Sérieux Et Plus Sûr Qu'il Ne Vient Pas S'étaler En Vives Images,

Et Qu'il Ne Se Plaît Point À Repasser Avec Détail Sur Les Traces Des

Faiblesses D'hier. En Général, Rancé Coupe Court Aux Paroles; Il Va Au

Fait, Et Le Fait Pour Lui, C'est L'_Éternité_ À Laquelle Il Rapporte

Toutes Choses. Cela Rend Les Lettres Qu'on Écrit Plus Simples, Mais Ne

Contribue Pas À Les Rendre Variées. L'éternité Est Un Grand Fond Sombre

Qui Supprime Sur Les Premiers Plans Toutes Les Figures.

 

Le Temps De Sa Retraite À Veretz Se Marque Par Quelques Traits Plus

Adoucis Et Par Quelques Expressions De Contentement, Si Ce Mot Est

Applicable À Une Nature Comme Celle De Rancé: «Je Vis Chez Moi Assez

Seul. Je Ne Suis Vu Que De Très-Peu De Gens, Et Toute Mon Application

Est Pour Mes Livres Et Pour Ce Que J'imagine Qui Est De Ma Profession.

J'y Trouve Assez De Goût Pour Croire Que Je Ne M'ennuierai Point De La

Vie Que Je Fais...» Mais, Après Cette Sorte D'étape Et Ce Premier

Temps De Repos, Rancé Se Relève Et Se Met En Marche Pour Une Pénitence

Infatigable Et Presque Impitoyable, À L'envisager Humainement: «Je Vous

Assure, Monsieur, Écrit-Il À L'abbé Favier (24 Janvier 1670), Que Depuis

Que L'on Veut Être Entièrement À Dieu Et Dans La Séparation Des Hommes,

La Vie N'est Plus Bonne Que Pour Être Détruite; Et Nous Ne Devons Nous

Considérer Que _Tanquam Oves Occisionis._» A Côté De Ces Austères Et

Presque Sanglantes Paroles, On Ne Peut Qu'être D'autant Plus Sensible

Aux Témoignages Constants De Cette Affection Toujours Grave, Toujours

Réservée, Mais De Plus En Plus Profonde Avec Les Années, Qu'il Accorde

Au Digne Vieillard, Son Ancien Maître; Les Jours Où, Au Lieu De Lui Dire

_Monsieur_, Il S'échappe Jusqu'au _Très-Cher Monsieur_, Ce Sont Les

Jours D'effusion Et D'attendrissement.

 

Une Pensée Historique Ressort Avec Évidence De La Lecture De Ces Lettres

De Rancé Et Jusque Du Sein De La Réforme Qu'il Tente Avec Une Énergie Si

Héroïque: C'est Que Le Temps Des Moines Est Fini, Que Le Monde N'en Veut

Plus, Ne Les Comprend Ni Ne Les Comporte Plus. Cela Est Vrai De L'aveu

De Rancé Lui-Même, Et Il Nous L'exprime À Sa Manière, Quand Il Dit

(Lettre Du 3 Octobre 1675): «Puisque Vous Voulez Savoir Des Nouvelles De

Notre Affaire, Je Vous Dirai, Quelque Juste Qu'elle Fût, Qu'elle A Été

Jugée Entièrement Contre Nous; Et, Pour Vous Parler Franchement, Ma

Pensée Est Que L'ordre De Cîteaux Est Rejeté De Dieu; Qu'étant Arrivé Au

Comble De L'iniquité, Il N'étoit Pas Digne Du Bien Que Nous Prétendions

Y Faire, Et Que Nous-Mêmes, Qui Voulions En Procurer Le Rétablissement,

Ne Méritions Pas Que Dieu Protégeât Nos Desseins Ni Qu'il Les Fît

Réussir.» Il Revient En Plusieurs Endroits Sur Cette Idée Désespérée;

Son Jugement Sur Son Ordre Est Décisif: _Les Ruines Mêmes_,

S'écrie-T-Il, _En Sont Irréparables_.

 

Et Que Ne Dirait-Il Pas Des Autres Ordres S'il Se Permettait

Également D'en Juger? Il Avait Résigné À L'abbé Favier Son Abbaye De

Saint-Symphorien-Lez-Beauvais, Dont Ce Dernier Ne Savait Trop Que Faire.

Le Peu De Religieux Qui Y Restaient Vivaient Avec Scandale: «D'y En

Mettre De Réformés, Lui Écrivait Rancé, Cela N'est Plus Possible; Les

Réformes Sont Tellement Décriées, Et En Partie Par La Mauvaise Conduite

Des Religieux, Qu'on Ne Veut Plus Souffrir Qu'on Les Introduise Dans

Les Lieux Où Il N'y En A Point. Ce Sont Nos Péchés Qui En Sont Cause.»

(Lettre

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