Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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Une heure apr�s, l'air moins charg� rendait aux poumons leur jeu normal. Peu � peu, les trois amis revenaient de leur ivresse; mais il leur fallut cuver leur oxyg�ne, comme un ivrogne cuve son vin.
Quand Michel apprit quelle �tait sa part de responsabilit� dans cet incident, il ne s'en montra pas autrement d�concert�. Cette �bri�t� inattendue rompait la monotonie du voyage. Bien des sottises avaient �t� dites sous son influence, mais aussi vite oubli�es que dites.
�Puis, ajouta le joyeux Fran�ais, je ne suis pas f�ch� d'avoir go�t� un peu de ce gaz capiteux. Savez-vous, mes amis, qu'il y aurait un curieux �tablissement � fonder, avec cabinets d'oxyg�ne, o� les gens dont l'organisme est affaibli pourraient, pendant quelques heures, vivre d'une vie plus active! Supposez des r�unions o� l'air serait satur� de ce fluide h�ro�que, des th��tres o� l'administration l'entretiendrait � haute dose, quelle passion dans l'�me des acteurs et des spectateurs, quel feu, quel enthousiasme! Et si, au lieu d'une simple assembl�e, on pouvait en saturer tout un peuple, quelle activit� dans ses fonctions, quel suppl�ment de vie il recevrait! D'une nation �puis�e on referait peut-�tre une nation grande et forte, et je connais plus d'un �tat de notre vieille Europe qui devrait se remettre au r�gime de l'oxyg�ne, dans l'int�r�t de sa sant�!�
Michel parlait et s'animait, � faire croire que le robinet �tait encore trop ouvert. Mais, d'une phrase, Barbicane enraya son enthousiasme.
�Tout cela est bien, ami Michel, lui dit-il, mais nous apprendras-tu d'o� viennent ces poules qui se sont m�l�es � notre concert?
—Ces poules?
—Oui.�
En effet, une demi-douzaine de poules et un superbe coq se promenaient �� et l�, voletant et caquetant.
�Ah! les maladroites! s'�cria Michel. C'est l'oxyg�ne qui les a mises en r�volution!
—Mais que veux-tu faire de ces poules? demanda Barbicane.
—Les acclimater dans la Lune, parbleu!
—Alors pourquoi les avoir cach�es?
—Une farce, mon digne pr�sident, une simple farce qui avorte piteusement! Je voulais les l�cher sur le continent lunaire, sans vous en rien dire! Hein! quel e�t �t� votre �bahissement � voir ces volatiles terrestres picorer les champs de la Lune!
—Ah! gamin! gamin �ternel! r�pondit Barbicane, tu n'as pas besoin d'oxyg�ne pour te monter la t�te! Tu es toujours ce que nous �tions sous l'influence de ce gaz! Tu es toujours fou!
—Eh! qui dit qu'alors nous n'�tions pas sages!� r�pliqua Michel Ardan.
Apr�s cette r�flexion philosophique, les trois amis r�par�rent le d�sordre du projectile. Poules et coq furent r�int�gr�s dans leur cage. Mais, en proc�dant � cette op�ration, Barbicane et ses deux compagnons eurent le sentiment tr�s marqu� d'un nouveau ph�nom�ne.
Depuis le moment o� ils avaient quitt� la Terre, leur propre poids, celui du boulet et des objets qu'il renfermait, avaient subi une diminution progressive. S'ils ne pouvaient constater cette d�perdition pour le projectile, un instant devait arriver o� cet effet serait sensible pour eux-m�mes et pour les ustensiles ou les instruments dont ils se servaient.
Il va sans dire qu'une balance n'e�t pas indiqu� cette d�perdition, car le poids destin� � peser l'objet aurait perdu pr�cis�ment autant que l'objet lui-m�me; mais un peson � ressort, par exemple, dont la tension est ind�pendante de l'attraction, e�t donn� l'�valuation exacte de cette d�perdition.
On sait que l'attraction, autrement dit la pesanteur, est proportionnelle aux masses et en raison inverse du carr� des distances. De l� cette cons�quence: Si la Terre e�t �t� seule dans l'espace, si les autres corps c�lestes se fussent subitement annihil�s, le projectile, d'apr�s la loi de Newton, aurait d'autant moins pes� qu'il se serait �loign� de la Terre, mais sans jamais perdre enti�rement son poids, car l'attraction terrestre se f�t toujours fait sentir � n'importe quelle distance.
Mais dans le cas actuel, un moment devait arriver o� le projectile ne serait plus aucunement soumis aux lois de la pesanteur, en faisant abstraction des autres corps c�lestes dont on pouvait consid�rer l'effet comme nul.
En effet, la trajectoire du projectile se tra�ait entre la Terre et la Lune. A mesure qu'il s'�loignait de la Terre, l'attraction terrestre diminuait en raison inverse du carr� des distances, mais aussi l'attraction lunaire augmentait dans la m�me proportion. Il devait donc arriver un point o�, ces deux attractions se neutralisant, le boulet ne p�serait plus. Si les masses de la Lune et de la Terre eussent �t� �gales, ce point se f�t rencontr� � une �gale distance des deux astres. Mais, en tenant compte de la diff�rence des masses, il �tait facile de calculer que ce point serait situ� aux quarante-sept cinquante-deuxi�mes du voyage, soit, en chiffres, � soixante-dix-huit mille cent quatorze lieues de la Terre.
A ce point, un corps n'ayant aucun principe de vitesse ou de d�placement en lui, y demeurerait �ternellement immobile, �tant �galement attir� par les deux astres, et rien ne le sollicitant plut�t vers l'un que vers l'autre.
Or, le projectile, si la force d'impulsion avait �t� exactement calcul�e, le projectile devait atteindre ce point avec une vitesse nulle, ayant perdu tout indice de pesanteur, comme tous les objets qu'il portait en lui.
Qu'arriverait-il alors? Trois hypoth�ses se pr�sentaient.
Ou le projectile aurait encore conserv� une certaine vitesse, et, d�passant le point d'�gale attraction, il tomberait sur la Lune en vertu de l'exc�s de l'attraction lunaire sur l'attraction terrestre.
Ou la vitesse lui manquant pour atteindre le point d'�gale attraction, il retomberait sur la Terre en vertu de l'exc�s de l'attraction terrestre sur l'attraction lunaire.
Ou enfin, anim� d'une vitesse suffisante pour atteindre le point neutre, mais insuffisante pour le d�passer, il resterait �ternellement suspendu � cette place, comme le pr�tendu tombeau de Mahomet, entre le z�nith et le nadir.
Telle �tait la situation, et Barbicane en expliqua clairement les cons�quences � ses compagnons de voyage. Cela les int�ressait au plus haut degr�. Or, comment reconna�traient-ils que le projectile avait atteint ce point neutre situ� � soixante-dix-huit mille cent quatorze lieues de la Terre?
Pr�cis�ment lorsque ni eux ni les objets enferm�s dans le projectile ne seraient plus aucunement soumis aux lois de la pesanteur.
Jusqu'ici, les voyageurs, tout en constatant que cette action diminuait de plus en plus, n'avaient pas encore reconnu son absence totale. Mais ce jour-l�, vers onze heures du matin, Nicholl ayant laiss� �chapper un verre de sa main, le verre, au lieu de tomber, resta suspendu dans l'air.
�Ah! s'�cria Michel Ardan, voil� donc un peu de physique amusante!�
Et aussit�t, divers objets, des armes, des bouteilles, abandonn�s � eux-m�mes, se tinrent comme par miracle. Diane, elle aussi, plac�e par Michel dans l'espace, reproduisit, mais sans aucun truc, la suspension merveilleuse op�r�e par les Caston et les Robert-Houdin. La chienne, d'ailleurs, ne semblait pas s'apercevoir qu'elle flottait dans l'air.
Eux-m�mes, surpris, stup�faits, en d�pit de leurs raisonnements scientifiques, ils sentaient, ces trois aventureux compagnons emport�s dans le domaine du merveilleux, ils sentaient que la pesanteur manquait � leur corps. Leurs bras, qu'ils �tendaient, ne cherchaient plus � s'abaisser. Leur t�te vacillait sur leurs �paules. Leurs pieds ne tenaient plus au fond du projectile. Ils �taient comme des gens ivres auxquels la stabilit� fait d�faut. Le fantastique a cr�� des hommes priv�s de leurs reflets, d'autres priv�s de leur ombre! Mais ici la r�alit�, par la neutralit� des forces attractives, faisait des hommes en qui rien ne pesait plus, et qui ne pesaient pas eux-m�mes!
Soudain Michel, prenant un certain �lan, quitta le fond, et resta suspendu en l'air comme le moine de la Cuisine des Anges de Murillo.
Ses deux amis l'avaient rejoint en un instant, et tous les trois, au centre du projectile, ils figuraient une ascension miraculeuse.
�Est-ce croyable? Est-ce vraisemblable? Est-ce possible? s'�cria Michel. Non. Et pourtant cela est! Ah! si Rapha�l nous avait vus ainsi, quelle �Assomption� il e�t jet�e sur sa toile!
—L'Assomption ne peut durer, r�pondit Barbicane. Si le projectile passe le point neutre, l'attraction lunaire nous attirera vers la Lune.
—Nos pieds reposeront alors sur la vo�te du projectile, r�pondit Michel.
—Non, dit Barbicane, parce que le projectile, dont le centre de gravit� est tr�s bas, se retournera peu a peu.
—Alors, tout notre am�nagement va �tre boulevers� de fond en comble, c'est le mot!
—Rassure-toi, Michel, r�pondit Nicholl. Aucun bouleversement n'est � craindre. Pas un objet ne bougera, car l'�volution du projectile ne se fera qu'insensiblement.
—En effet, reprit Barbicane, et quand il aura franchi le point d'�gale attraction, son culot, relativement plus lourd, l'entra�nera suivant une perpendiculaire � la Lune. Mais, pour que ce ph�nom�ne se produise, il faut que nous ayons pass� la ligne neutre.
—Passer la ligne neutre! s'�cria Michel. Alors faisons comme les marins qui passent l'�quateur. Arrosons notre passage!�
Un l�ger mouvement de c�t� ramena Michel vers la paroi capitonn�e. L�, il prit une bouteille et des verres, les pla�a �dans l'espace�, devant ses compagnons, et, trinquant joyeusement, ils salu�rent la ligne d'un triple hurrah.
Cette influence des attractions dura une heure � peine. Les voyageurs se sentirent insensiblement ramen�s vers le fond, et Barbicane crut remarquer que le bout conique du projectile s'�cartait un peu de la normale dirig�e vers la Lune. Par un mouvement inverse, le culot s'en rapprochait. L'attraction lunaire l'emportait donc sur l'attraction terrestre. La chute vers la Lune commen�ait, presque insensible encore; elle ne devait �tre que d'un millim�tre un tiers dans la premi�re seconde, soit cinq cent quatre-vingt-dix milli�mes de ligne. Mais peu � peu la force attractive s'accro�trait, la chute serait plus accentu�e, le projectile, entra�n� par le culot, pr�senterait son c�ne sup�rieur � la Terre et tomberait avec une vitesse croissante jusqu'� la surface du continent s�l�nite. Le but serait donc atteint. Maintenant, rien ne pouvait emp�cher le succ�s de l'entreprise, et Nicholl et Michel Ardan partag�rent la joie de Barbicane.
Puis ils caus�rent de tous ces ph�nom�nes qui les �merveillaient coup sur coup. Cette neutralisation des lois de la pesanteur surtout, ils ne tarissaient pas � son propos. Michel Ardan, toujours enthousiaste, voulait en tirer des cons�quences qui n'�taient que fantaisie pure.
�Ah! mes dignes amis, s'�criait-il, quel progr�s si l'on pouvait ainsi se d�barrasser, sur Terre, de cette pesanteur, de cette cha�ne qui vous rive � elle! Ce serait le prisonnier devenu libre! Plus de fatigues, ni des bras ni des jambes. Et, s'il est vrai que pour voler � la surface de la Terre, pour se soutenir dans l'air par le simple jeu des muscles, il faille une force cent cinquante fois sup�rieure � celle que nous poss�dons, un simple acte de la volont�, un caprice nous transporterait dans l'espace, si l'attraction n'existait pas.
—En effet, dit Nicholl en riant, si l'on parvenait � supprimer la pesanteur comme on supprime la douleur par l'anesth�sie, voil� qui changerait la face des soci�t�s modernes!
—Oui, s'�cria Michel, tout plein de son sujet, d�truisons la pesanteur, et plus de fardeaux! Partant, plus de grues, de crics, de cabestans, de manivelles et autres engins qui n'auraient pas raison d'�tre!
—Bien dit, r�pliqua Barbicane, mais si rien ne pesait plus, rien ne tiendrait plus, pas plus ton chapeau sur ta t�te, digne Michel, que ta maison dont les pierres n'adh�rent que par leur poids! Pas de bateaux dont la stabilit� sur les eaux n'est qu'une cons�quence de la pesanteur. Pas m�me d'Oc�an, dont les flots ne seraient plus �quilibr�s par l'attraction terrestre. Enfin pas d'atmosph�re, dont les mol�cules n'�tant plus retenues se disperseraient dans l'espace!
—Voil� qui est f�cheux, r�pliqua Michel. Rien de tel que ces gens positifs pour vous ramener brutalement � la r�alit�.
—Mais console-toi, Michel, reprit Barbicane, car si aucun astre n'existe d'o� soient bannies les lois de la pesanteur, tu vas, du moins, en visiter un o� la pesanteur est beaucoup moindre que sur la Terre.
—La Lune?
—Oui, la Lune, � la surface de laquelle les objets p�sent six fois moins qu'� la surface de la Terre, ph�nom�ne tr�s facile � constater.
—Et nous nous en apercevrons? demanda Michel.
—�videmment, puisque deux cents kilogrammes n'en p�sent que trente � la surface de la Lune.
—Et notre force musculaire n'y diminuera pas?
—Aucunement. Au lieu de t'�lever � un m�tre en sautant, tu t'�l�veras � dix-huit pieds de hauteur.
—Mais nous serons des Hercules dans la Lune! s'�cria Michel.
—D'autant plus, r�pondit Nicholl, que si la taille des S�l�nites est proportionnelle � la masse de leur globe, ils seront hauts d'un pied � peine.
—Des Lilliputiens! r�pliqua Michel. Je vais donc jouer le r�le de Gulliver! Nous allons r�aliser la fable des g�ants! Voil� l'avantage de quitter sa plan�te et de courir le monde solaire!
—Un instant, Michel, r�pondit Barbicane. Si tu veux jouer les Gulliver ne visite que les plan�tes inf�rieures, telles que Mercure, V�nus ou Mars, dont la masse est un peu moindre que celle de la Terre. Mais ne te hasarde pas dans les grandes plan�tes, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, car l� les r�les seraient intervertis, et tu deviendrais Lilliputien.
—Et dans le Soleil?
—Dans le Soleil, si sa densit� est quatre fois moindre que celle de la Terre, son volume est treize cent vingt-quatre mille fois plus consid�rable, et l'attraction y est vingt-sept fois plus grande qu'� la surface de notre globe. Toute proportion gard�e, les habitants y devraient avoir en moyenne deux cents pieds de haut.
—Mille diables! s'�cria Michel. Je ne serais plus qu'un pygm�e, un mirmidon!
—Gulliver chez les g�ants, dit Nicholl.
—Juste! r�pondit Barbicane.
—Et il ne serait pas inutile
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