Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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Cependant, en d�pit de ses pr�occupations, Michel Ardan n'oublia pas de pr�parer le repas du matin avec sa ponctualit� habituelle. On mangea de grand app�tit. Rien d'excellent comme ce bouillon liqu�fi� � la chaleur du gaz. Rien de meilleur que ces viandes conserv�es. Quelques verres de bon vin de France couronn�rent ce repas. Et � ce propos, Michel Ardan fit remarquer que les vignobles lunaires, chauff�s par cet ardent soleil, devaient distiller les vins les plus g�n�reux,—s'ils existaient toutefois. En tout cas, le pr�voyant Fran�ais n'avait eu garde d'oublier dans son paquet quelques pr�cieux ceps du M�doc et de la C�te-d'Or, sur lesquels il comptait particuli�rement.
L'appareil Reiset et Regnault fonctionnait toujours avec une extr�me pr�cision. L'air se maintenait dans un �tat de puret� parfaite. Nulle mol�cule d'acide carbonique ne r�sistait � la potasse, et quant � l'oxyg�ne, disait le capitaine Nicholl, �il �tait certainement de premi�re qualit�. Le peu de vapeur d'eau renferm� dans le projectile se m�lait � cet air dont il temp�rait la s�cheresse, et bien des appartements de Paris, de Londres ou de New York, bien des salles de th��tre ne se trouvent certainement pas dans des conditions aussi hygi�niques.
Mais, pour fonctionner r�guli�rement, il fallait que cet appareil f�t tenu en parfait �tat. Aussi, chaque matin, Michel visitait les r�gulateurs d'�coulement, essayait les robinets, et r�glait au pyrom�tre la chaleur du gaz. Tout marchait bien jusqu'alors, et les voyageurs, imitant le digne J.-T. Maston, commen�aient � prendre un embonpoint qui les e�t rendus m�connaissables, si leur emprisonnement se f�t prolong� pendant quelques mois. Ils se comportaient, en un mot, comme se comportent des poulets en cage: ils engraissaient.
En regardant � travers les hublots, Barbicane vit le spectre du chien et les divers objets lanc�s hors du projectile qui l'accompagnaient obstin�ment. Diane hurlait m�lancoliquement en apercevant les restes de Satellite. Ces �paves semblaient aussi immobiles que si elles eussent repos� sur un terrain solide.
�Savez-vous, mes amis, disait Michel Ardan, que si l'un de nous e�t succomb� au contrecoup du d�part, nous aurions �t� fort g�n�s pour l'enterrer, que dis-je, pour l'��th�rer�, puisque ici l'�ther remplace la Terre! Voyez-vous ce cadavre accusateur qui nous aurait suivis dans l'espace comme un remords!
—C'e�t �t� triste, dit Nicholl.
—Ah! reprit Michel, ce que je regrette, c'est de ne pouvoir faire une promenade � l'ext�rieur. Quelle volupt� de flotter au milieu de ce radieux �ther, de se baigner, de se rouler dans ces purs rayons de soleil! Si Barbicane avait seulement pens� � se munir d'un appareil de scaphandre et d'une pompe � air, je me serais aventur� au dehors, et j'aurais pris des attitudes de chim�re et d'hippogryphe sur le sommet du projectile.
—Eh bien, mon vieux Michel, r�pondit Barbicane, tu n'aurais pas fait longtemps l'hippogryphe, car, malgr� ton habit de scaphandre, gonfl� sous l'expansion de l'air contenu en toi, tu aurais �clat� comme un obus, ou plut�t comme un ballon qui s'�l�ve trop haut dans l'air. Donc ne regrette rien, et n'oublie pas ceci: Tant que nous flotterons dans le vide, il faut t'interdire toute promenade sentimentale hors du projectile!�
Michel Ardan se laissa convaincre dans une certaine mesure. Il convint que la chose �tait difficile, mais non pas �impossible�, mot qu'il ne pronon�ait jamais.
La conversation, de ce sujet, passa � un autre, et ne languit pas un instant. Il semblait aux trois amis que dans ces conditions les id�es leur poussaient au cerveau comme les feuilles poussent aux premi�res chaleurs du printemps. Ils se sentaient touffus.
Au milieu des demandes et des r�ponses qui se crois�rent pendant cette matin�e, Nicholl posa une certaine question qui ne trouva pas de solution imm�diate.
�Ah ��! dit-il, c'est tr�s bien d'aller dans la Lune, mais comment en reviendrons-nous?�
Ses deux interlocuteurs se regard�rent d'un air surpris. On e�t dit que cette �ventualit� se formulait pour la premi�re fois devant eux.
�Qu'entendez-vous par-l�, Nicholl? demanda gravement Barbicane.
—Demander � revenir d'un pays, ajouta Michel, quand on n'y est pas encore arriv�, me para�t inopportun.
—Je ne dis pas cela pour reculer, r�pliqua Nicholl, mais je r�it�re ma question, et je demande: Comment reviendrons-nous?
—Je n'en sais rien, r�pondit Barbicane.
—Et moi, dit Michel, si j'avais su comment en revenir, je n'y serais point all�.
—Voil� r�pondre, s'�cria Nicholl.
—J'approuve les paroles de Michel, dit Barbicane, et j'ajoute que la question n'a aucun int�r�t actuel. Plus tard, quand nous jugerons convenable de revenir, nous aviserons. Si la Columbiad n'est plus l�, le projectile y sera toujours.
—Belle avance! Une balle sans fusil!
—Le fusil, r�pondit Barbicane, on peut le fabriquer. La poudre, on peut la faire! Ni les m�taux, ni le salp�tre, ni le charbon ne doivent manquer aux entrailles de la Lune. D'ailleurs, pour revenir, il ne faut vaincre que l'attraction lunaire, et il suffit d'aller � huit mille lieues pour retomber sur le globe terrestre en vertu des seules lois de la pesanteur.
—Assez, dit Michel en s'animant. Qu'il ne soit plus question de retour! Nous en avons d�j� trop parl�. Quant � communiquer avec nos anciens coll�gues de la Terre, cela ne sera pas difficile.
—Et comment?
—Au moyen de bolides lanc�s par les volcans lunaires.
—Bien trouv�, Michel, r�pondit Barbicane d'un ton convaincu. Laplace a calcul� qu'une force cinq fois sup�rieure � celle de nos canons suffirait � envoyer un bolide de la Lune � la Terre. Or, il n'est pas de volcan qui n'ait une puissance de propulsion sup�rieure.
—Hurrah! cria Michel. Voil� des facteurs commodes que ces bolides, et qui ne co�teront rien! Et comme nous rirons de l'administration des postes! Mais, j'y pense...
—Que penses-tu?
—Une id�e superbe! Pourquoi n'avons-nous pas accroch� un fil � notre boulet? Nous aurions �chang� des t�l�grammes avec la Terre!
—Mille diables! riposta Nicholl. Et le poids d'un fil long de quatre-vingt-six mille lieues ne le comptes-tu pour rien?
—Pour rien! On aurait tripl� la charge de la Columbiad! On l'aurait quadrupl�e, quintupl�e! s'�cria Michel, dont le verbe prenait des intonations de plus en plus violentes.
—Il n'y a qu'une petite objection � faire � ton projet, r�pondit Barbicane: c'est que pendant le mouvement de rotation du globe, notre fil se serait enroul� autour de lui comme une cha�ne sur un cabestan, et qu'il nous aurait in�vitablement ramen�s � terre.
—Par les trente-neuf �toiles de l'Union! dit Michel, je n'ai donc que des id�es impraticables aujourd'hui! des id�es dignes de J.-T. Maston! Mais, j'y songe, si nous ne revenons pas sur la Terre, J.-T. Maston est capable de venir nous retrouver!
—Oui! il viendra, r�pliqua Barbicane, c'est un digne et courageux camarade. D'ailleurs, quoi de plus ais�? La Columbiad n'est-elle pas toujours creus�e dans le sol floridien! Le coton et l'acide azotique manquent-ils pour fabriquer du pyroxyle? La Lune ne repassera-t-elle pas au z�nith de la Floride? Dans dix-huit ans n'occupera-t-elle pas exactement la place qu'elle occupe aujourd'hui?
—Oui, r�p�ta Michel, oui, Maston viendra, et avec lui nos amis Elphiston, Blomsberry, tous les membres du Gun-Club, et ils seront bien re�us! Et plus tard, on �tablira des trains de projectiles entre la Terre et la Lune! Hurrah pour J.-T. Maston!�
Il est probable que, si l'honorable J.-T. Maston n'entendit pas les hurrahs pouss�s en son honneur, du moins les oreilles lui tint�rent. Que faisait-il alors? Sans doute, post� dans les montagnes Rocheuses, � la station de Long's-Peak, il cherchait � d�couvrir l'invisible boulet gravitant dans l'espace. S'il pensait � ses chers compagnons, il faut convenir que ceux-ci n'�taient pas en reste avec lui, et que, sous l'influence d'une exaltation singuli�re, ils lui consacraient leurs meilleures pens�es.
Mais d'o� venait cette animation qui grandissait visiblement chez les h�tes du projectile? Leur sobri�t� ne pouvait �tre mise en doute. Cet �trange �r�thisme du cerveau, fallait-il l'attribuer aux circonstances exceptionnelles ou ils se trouvaient, � cette proximit� de l'astre des nuits dont quelques heures les s�paraient seulement, � quelque influence secr�te de la Lune qui agissait sur le syst�me nerveux? Leur figure rougissait comme si elle e�t �t� expos�e � la r�verb�ration d'un four; leur respiration s'activait, et leurs poumons jouaient comme un soufflet de forge; leurs yeux brillaient d'une flamme extraordinaire; leur voix d�tonait avec des accents formidables; leurs paroles s'�chappaient comme un bouchon de champagne chass� par l'acide carbonique; leurs gestes devenaient inqui�tants, tant il fallait d'espace pour les d�velopper. Et, d�tail remarquable, ils ne s'apercevaient aucunement de cette excessive tension de leur esprit.
�Maintenant, dit Nicholl d'un ton bref, maintenant que je ne sais pas si nous reviendrons de la Lune, je veux savoir ce que nous y allons faire.
—Ce que nous y allons faire? r�pondit Barbicane, frappant du pied comme s'il e�t �t� dans une salle d'armes, je n'en sais rien!
—Tu n'en sais rien! s'�cria Michel avec un hurlement qui provoqua dans le projectile un retentissement sonore.
—Non, je ne m'en doute m�me pas! riposta Barbicane, se mettant � l'unisson de son interlocuteur.
—Eh bien, je le sais, moi, r�pondit Michel.
—Parle donc, alors, cria Nicholl, qui ne pouvait plus contenir les grondements de sa voix.
—Je parlerai si cela me convient, s'�cria Michel en saisissant violemment le bras de son compagnon.
—Il faut que cela te convienne, dit Barbicane, l'œil en feu, la main mena�ante. C'est toi qui nous as entra�n�s dans ce voyage formidable, et nous voulons savoir pourquoi!
—Oui! fit le capitaine, maintenant que je ne sais pas o� je vais, je veux savoir pourquoi j'y vais!
—Pourquoi? s'�cria Michel, bondissant � la hauteur d'un m�tre, pourquoi? Pour prendre possession de la Lune au nom des �tats-Unis! Pour ajouter un quaranti�me �tat � l'Union! Pour coloniser les r�gions lunaires, pour les cultiver, pour les peupler, pour y transporter tous les prodiges de l'art, de la science et de l'industrie! Pour civiliser les S�l�nites, � moins qu'ils ne soient plus civilis�s que nous, et les constituer en r�publique, s'ils n'y sont d�j�!
—Et s'il n'y a pas de S�l�nites! riposta Nicholl, qui sous l'empire de cette inexplicable ivresse devenait tr�s contrariant.
—Qui dit qu'il n'y a pas de S�l�nites? s'�cria Michel d'un ton mena�ant.
—Moi! hurla Nicholl.
—Capitaine, dit Michel, ne r�p�te pas cette insolence, ou je te l'enfonce dans la gorge � travers les dents!�
Les deux adversaires allaient se pr�cipiter l'un sur l'autre, et cette incoh�rente discussion mena�ait de d�g�n�rer en bataille, quand Barbicane intervint par un bond formidable.
�Arr�tez, malheureux, dit-il en mettant ses deux compagnons dos � dos, s'il n'y a pas de S�l�nites, on s'en passera!
—Oui, s'exclama Michel, qui n'y tenait pas autrement, on s'en passera. Nous n'avons que faire des S�l�nites! A bas les S�l�nites!
—A nous l'empire de la Lune, dit Nicholl.
—A nous trois, constituons la r�publique!
—Je serai le congr�s, cria Michel.
—Et moi le s�nat, riposta Nicholl.
—Et Barbicane le pr�sident, hurla Michel.
—Pas de pr�sident nomm� par la nation! r�pondit Barbicane.
—Eh bien, un pr�sident nomm� par le congr�s, s'�cria Michel, et comme je suis le congr�s, je te nomme � l'unanimit�!
—Hurrah! hurrah! hurrah pour le pr�sident Barbicane! cria Nicholl.
—Hip! hip! hip!� vocif�ra Michel Ardan.
Puis, le pr�sident et le s�nat entonn�rent d'une voix terrible le populaire Yankee Doodle , tandis que le congr�s faisait retentir les m�les accents de la Marseillaise .
Alors commen�a une ronde �chevel�e avec gestes insens�s, tr�pignements de fous, culbutes de clowns d�soss�s. Diane, se m�lant � cette danse, hurlant � son tour, sauta jusqu'� la vo�te du projectile. On entendit d'inexplicables battements d'ailes, des cris de coq d'une sonorit� bizarre. Cinq ou six poules vol�rent, en se frappant aux parois comme des chauves-souris folles...
Puis, les trois compagnons de voyage, dont les poumons se d�sorganisaient sous une incompr�hensible influence, plus qu'ivres, br�l�s par l'air qui incendiait leur appareil respiratoire, tomb�rent sans mouvement sur le fond du projectile.
VIIIA soixante-dix-huit mille cent quatorze lieues
Que s'�tait-il pass�? D'o� provenait la cause de cette ivresse singuli�re dont les cons�quences pouvaient �tre d�sastreuses? Une simple �tourderie de Michel, � laquelle tr�s heureusement, Nicholl put rem�dier � temps.
Apr�s une v�ritable p�moison qui dura quelques minutes le capitaine, revenant le premier � la vie, reprit ses facult�s intellectuelles.
Bien qu'il e�t d�jeun� deux heures auparavant, il ressentait une faim terrible qui le tiraillait comme s'il n'avait pas mang� depuis plusieurs jours. Tout en lui, estomac et cerveau, �tait surexcit� au plus haut point.
Il se releva donc et r�clama de Michel une collation suppl�mentaire. Michel, an�anti, ne r�pondit pas. Nicholl voulut alors pr�parer quelques tasses de th� destin�es � faciliter l'absorption d'une douzaine de sandwiches. Il s'occupa d'abord de se procurer du feu, et frotta vivement une allumette.
Quelle fut sa surprise en voyant briller le soufre d'un �clat extraordinaire et presque insoutenable � la vue. Du bec de gaz qu'il alluma jaillit une flamme comparable aux jets de la lumi�re �lectrique.
Une r�v�lation se fit dans l'esprit de Nicholl. Cette intensit� de lumi�re, les troubles physiologiques survenus en lui, la surexcitation de toutes ses facult�s morales et passionnelles, il comprit tout.
�L'oxyg�ne!� s'�cria-t-il.
Et se penchant sur l'appareil � air, il vit que le robinet laissait �chapper � pleins flots ce gaz incolore, sans saveur, sans odeur, �minemment vital, mais qui, � l'�tat pur, produit les d�sordres les plus graves dans l'organisme. Par �tourderie, Michel avait ouvert en grand le robinet de l'appareil!
Nicholl se h�ta de suspendre cet �coulement d'oxyg�ne, dont l'atmosph�re �tait satur�e, et
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