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Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 - C.-A. Sainte-Beuve (thriller novels to read .txt) 📗». Author C.-A. Sainte-Beuve



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Perdre Qu'en Cessant De

Vivre), Mais Vous Seriez Moins Aimable Aux Yeux Des Autres, Et Ce Seroit

Dommage. Laissez Au Monde L'exemple D'une Personne Qui Sait Aimer Avec

Fidélité Et Se Faire Toujours Aimer Sans Aucun Art, Mais Peut-Être Plus

Aimable Que Qui Que Ce Soit.

 

«Que Vous Ai-Je Fait, Ma Reine? Dites-Le, Si Vous Pouvez. Rien, En

Vérité. Je Jure Que Je N'ai Pas Cessé Un Moment De Vous Être Uniquement

Attaché: Vous N'avez Pas À La Tête Un Cheveu Qui Ne M'inspire Plus De

Goût Et De Sentiment Que Toutes Les Femmes Du Monde Ensemble, Et Je Vous

Permets De Le Dire Et De Le Lire À Qui Vous Voudrez.»

 

(1746.)

 

«C'est Aujourd'hui Le Sept D'octobre, Et, Selon Ce Que Vous Me Mandez,

Ma Chère Aïssé, Vous Devez Être À Sens. J'y Transporte Toutes Mes Idées,

Mon Coeur Ne S'entretient Plus Que De Sens: C'est Là Que Sont Maintenant

Réunis Les Deux Objets De Toute Ma Tendresse. Ne M'écrivez-Vous Pas De

Longues Lettres? Mandez-Moi Tout, Ma Reine: La Peinture La Plus Naïve Et

La Plus Circonstanciée Sera Celle Qui Me Plaira Davantage. Faites-La-Moi

Voir D'ici Tout Entière, S'il Est Possible: Je Ne Veux Point

D'échantillon. Une Réponse, Un Bon Mot, Qui Doit Souvent Toute Sa Grâce

À Celui Qui L'interprète, N'est Point Ce Qu'il Me Faut: Je Veux Le

Portrait De Tout Le Caractère, De Toute La Personne Ensemble, De La

Figure, De L'esprit Et Surtout Du Coeur. C'est Le Coeur Qui Nous

Conduit: L'instinct D'un Coeur Droit Est Mille Fois Plus Sûr Que Toutes

Les Réflexions D'un Bel Esprit: C'est Du Coeur Que Partent Tous Les

Premiers Mouvements: C'est Au Coeur Que Nous Obéissons Sans Cesse.

 

«Mais Revenons. Pardonnez-Moi Les Digressions, Ma Reine: Je Ne M'en

Contrains Pas; Elles Ne M'éloignent Jamais De Vous. Je Ne Parle

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 105

Longtemps De La Même Chose Que Lorsque Je La Considère En Vous. Alors

Je M'y Arrête, Je La Tourne De Tous Les Sens: J'oublie Tout Le Reste,

J'oublie Que C'est Une Lettre Que J'écris Et Qu'il Est Impertinent De

Faire Des Amplifications À Tout Propos. Mais Voici Qui Est Encore Long;

Mon Papier Se Remplira, Et Je Ne Vous Ai Point Dit Encore Que Je Vous

Aime. C'est Pourtant Ce Que Je Veux Vous Dire Et Vous Redire Mille Fois:

Je Ne Puis Assez Vous Le Persuader. J'espère Que Vous Penserez Un Peu À

Moi Pendant Votre Séjour À Sens. Baisez-La Souvent, Et Quelquefois Pour

Moi. La Pauvre Petite! Que Je Voudrois Qu'elle Fût Heureuse! Elle Le

Sera Si Elle Vous Ressemble: C'est De Notre Humeur Que Dépend Notre

Bonheur. N'oubliez Pas Qu'il Faut Qu'elle Sache La Musique: C'est Un

Talent Agréable Pour Soi Et Pour Les Autres. On Ne Sauroit Commencer

Trop Tôt: On Ne La Possède Bien Que Quand On L'apprend Dans La Première

Enfance.

 

«Vous M'avez Fait Grand Plaisir De M'écrire Vos Amusements D'ablon: Mais

Je Ne Trouve Pas Trop À Propos Que Vous Alliez À La Chasse Au Soleil,

Surtout Si Les Chaleurs Sont Aussi Grandes Où Vous Êtes Qu'ici. Vos

Coiffes Garantissent Mal La Tête, Et Les Coups De Soleil Sont Dangereux

Et Très-Fréquents Dans Cette Saison. La Brutalité Du Garde Qui Trouve

Mauvais Que Vous Tiriez, Et La Politesse Du Chien Qui Rapporte Votre

Gibier, Prouvent Clairement Que Les Hommes Ont Souvent Moins De

Discernement Que Les Bêtes. Si La Métempsychose Avoit Lieu, Je

Consentirois Sans Répugnance À Devenir Comme Le Chien Qui Vous A

Caressée, Qui Vous A Rendu Service; Mais Je Serois Au Désespoir S'il Me

Falloit Quelque Jour Ressembler À Cet Homme Farouche Qui Se Formalise

Si Durement Et Si Mal À Propos. Je Me Sens Aujourd'hui Plus De Goût

Que Jamais Pour Les Chiens. J'ai Beaucoup Caressé Tous Les Miens: Je

Voudrois Témoigner À Toute L'espèce La Reconnoissance Que J'ai De

L'honnêteté De Leur Confrère À Votre Égard.

 

«Je Vous Embrasse, Ma Très-Aimable Aïssé. Vous Êtes Pour Toujours La

Reine De Mon Coeur.»

 

 

 

 

Benjamin Constant

Et

Madame De Charrière[107]

 

 

Rien De Plus Intéressant Que De Pouvoir Saisir Les Personnages Célèbres

Avant Leur Gloire, Au Moment Où Ils Se Forment, Où Ils Sont Déjà Formés

Et Où Ils N'ont Point Éclaté Encore; Rien De Plus Instructif Que De

Contempler À Nu L'homme Avant Le Personnage, De Découvrir Les Fibres

Secrètes Et Premières, De Les Voir S'essayer Sans But Et D'instinct,

D'étudier Le Caractère Même Dans Sa Nature, À La Veille Du Rôle. C'est

Un Plaisir Et Un Intérêt De Ce Genre Qu'on A Pu Se Procurer En Assistant

Aux Premiers Débuts Ignorés De Joseph De Maistre; C'est Une Ouverture

Pareille Que Nous Venons Pratiquer Aujourd'hui Sur Un Homme Du Camp

Opposé À De Maistre, Sur Un Étranger De Naissance Comme Lui, Parti De

L'autre Rive Du Léman, Mais Nationalisé De Bonne Heure Chez Nous Par Les

Sympathies Et Les Services, Sur Benjamin Constant.

 

[Note 107: Ce Morceau A Paru Pour La Première Fois Dans La _Revue Des

Deux Mondes_ Du 15 Avril 1844, Et Il A Été Joint Depuis À Une Édition

De _Caliste, Ou Lettres Écrites De Lausanne_, Roman De Mme De Charrière

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 106

(Paris, 1845).]

 

Il En A Déjà Été Parlé Plus D'une Fois Et Avec Développement Dans Cette

_Revue_. Un Écrivain Bien Spirituel, Dont La Littérature Regrette

L'absence, M. Loève-Veimars, A Donné Sur L'illustre Publiciste[108] Une

De Ces Piquantes Lettres Politiques Qu'on N'a Pas Oubliée. Un Autre

Écrivain, Un Critique Dont Le Silence S'est Fait Également Sentir, M.

Gustave Planche, A Publié Sur _Adolphe_[109] Quelques Pages D'une Analyse

Attristée Et Sévère. Plus D'une Fois Benjamin Constant A Été Touché

Indirectement Et D'assez Près, À L'occasion De Notices, Soit Sur Mme De

Staël, Soit Sur Mmes De Krüdner Ou De Charrière; Mais Aujourd'hui C'est

Mieux, Et Nous Allons L'entendre Lui-Même S'épanchant Et Se Livrant

Sans Détour, Lui Le Plus Précoce Des Hommes, Aux Années De Sa Première

Jeunesse.

 

[Note 108: _Revue Des Deux Mondes_, 1er Février 1833.]

 

[Note 109: _Revue Des Deux Mondes_, 1er Août 1834.]

 

Dans L'article Que Cette _Revue_ A Publié, Si L'on S'en Souvient, Sur

Mme De Charrière[110], Sur Cette Hollandaise Si Originale Et Si Libre De

Pensée, Qui A Passé Sa Vie En Suisse Et A Écrit Une Foule D'ouvrages

D'un Français Excellent, Il A Été Dit Qu'elle Connut Benjamin Constant

Sortant De L'enfance, Qu'elle Fut La Première _Marraine_ De Ce Chérubin

Déjà Quelque Peu Émancipé, Qu'elle Contribua Plus Que Personne À

Aiguiser Ce Jeune Esprit Naturellement Si Enhardi, Que Tous Deux

S'écrivaient Beaucoup, Même Quand Il Habitait Chez Elle À Colombier,

Et Que Les Messages Ne Cessaient Pas D'une Chambre À L'autre; Mais Ce

N'était Là Qu'un Aperçu, Et Le Degré D'influence De Mme De Charrière Sur

Benjamin Constant, La Confiance Que Celui-Ci Mettait En Elle Durant

Ces Années Préparatoires, Ne Sauraient Se Soupçonner En Vérité, Si Les

Preuves N'en Étaient Là Devant Nos Yeux, Amoncelées, Authentiques, Et

Toutes Prêtes À Convaincre Les Plus Incrédules.

 

[Note 110: 15 Mars 1839; Et Dans Mes _Portraits De Femmes_.]

 

Un Homme Éclairé, Sincèrement Ami Des Lettres, Comme La Suisse En

Nourrit Un Si Grand Nombre, M. Le Professeur Gaullieur, De Lausanne,

Se Trouve Possesseur, Par Héritage, De Tous Les Papiers De Mme De

Charrière. En Même Temps Qu'il Sent Le Prix De Tous Ces Trésors,

Résultats Accumulés D'un Commerce Épistolaire Qui A Duré Un Demi-Siècle,

M. Gaullieur Ne Comprend Pas Moins Les Devoirs Rigoureux De Discrétion

Que Cette Possession Délicate Impose. En Préparant L'intéressant Travail

Dont Il Nous Permet De Donner Un Avant-Goût Aujourd'hui, Il A Dû Choisir

Et Se Borner: «Il Est, Dit-Il, Dans Les Papiers Dont Nous Sommes

Dépositaires, Des Choses Qui Ne Verront Jamais Le Jour; Il Existe Tel

Secret Que Nous Entendons Respecter. Il Est D'autres Pièces Au Contraire

Qui Sont Acquises À L'histoire, À La Langue Française, Comme Aussi À

La Philosophie Du Coeur Humain. Si La Postérité N'a Que Faire Des

Faiblesses De Quelques Grands Noms, Elle A Droit De Revendiquer Les

Documents Qui La Conduiront Sur La Trace De Certaines Carrières

Étonnantes, Qui Lui Dévoileront Les Vrais Éléments Dont S'est Formé À La

Longue Tel Caractère Historique Controversé.»

 

Au Nombre De Ces Pièces Que La Curiosité Publique Est En Droit De

Réclamer, On Peut Placer Sans Inconvénient (Et Sauf Quelques Endroits

Sujets À Suppression) La Correspondance De Benjamin Constant Avec Mme De

Charrière. Elle Comprend Un Espace De Sept Années, 1787-1795; Benjamin A

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 107

Vingt Ans Au Début, Il Est Dans Sa Période De Werther Et D'adolphe: S'il

Est Vrai Qu'il N'en Sortit Jamais Complètement, On Accordera Qu'à Vingt

Ans Il Y Était Un Peu Plus Naturellement Que Dans La Suite. Pour

Qui Veut L'étudier Sous Cet Aspect, L'occasion Est Belle, Elle Est

Transparente; On A Là L'épreuve _Avant La Lettre_, Pour Ainsi Dire.

 

Tout D'abord On Voit Le Jeune Benjamin Fuyant La Maison Paternelle, Ou

Plutôt S'échappant De Paris, Où Il Passait L'été De 1787, Pour Courir

Seul, À Pied, À Cheval, N'importe Comment, Les Comtés De L'angleterre.

Il Est Parti, Pourquoi? Il Ne S'en Rend Pas Lui-Même Très-Bien Compte,

Il Est Parti Par Ennui, Par Amour, Par Coup De Tête, Comme Il Partira

Bien Des Fois Dans La Suite Et Dans Des Situations Plus Décisives. Des

Pensées De Suicide L'assiégent, Et Il Ne Se Tuera Pas; Des Projets

D'émigration En Amérique Le Tentent, Et Il N'émigrera Pas. Tout Cela

Vient Aboutir À De Jolies Lettres À Mme De Charrière, À Des Lettres

Pleines Déjà De Saillies, De Persifflage, De Moquerie De Soi-Même Et

Des Autres. Puis, Au Retour En Suisse, Pauvre Pigeon Blessé Et Traînant

L'aile, Assez Mal Reçu De Sa Famille Pour Son Équipée, Il Va Se Refaire

Chez Son Indulgente Amie À Colombier Près De Neuchâtel; Il Passe Là Six

Semaines Ou Deux Mois De Repos, De Gaieté, De Félicité Presque; Il S'en

Souviendra Longtemps, Il En Parlera Avec Reconnaissance, Avec Une

Sorte De Tendresse Qui Ne Lui Est Pas Familière. Voilà Le Premier Acte

Terminé.

 

Le Second S'ouvre À Brunswick, À Cette Petite Cour Où Sa Famille

L'a Fait Placer En Qualité De Gentilhomme Ordinaire Ou Plutôt Fort

Extraordinaire, Nous Dit-Il; Il Y Arrive En Mars 1788, Il Y Réside

Durant Ces Premières Années De La Révolution; Il S'y Ennuie, Il S'y

Marie, Il Travaille À Son Divorce, Qu'il Finit Par Obtenir (Mars 1793);

Il S'est Livré Dans L'intervalle À Toutes Sortes De Distractions Et À

Un Imbroglio D'intrigues Galantes Pour Se Dédommager De Son Inaction

Politique, Qui Commence À Lui Peser En Face De Si Grands Événements.

Placé Au Foyer De L'émigration Et De La Coalition, Il Est Réputé Quelque

Peu Aristocrate Par Ses Amis De France Qui L'ont Perdu De Vue,

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