Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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—Et alors, dit Michel Ardan, l'ami Nicholl a perdu ses deux paris: quatre mille dollars, puisque la Columbiad n'a pas �clat�; cinq mille dollars, puisque le projectile s'est �lev� � une hauteur sup�rieure � six milles. Donc, Nicholl, ex�cute-toi.
—Constatons d'abord, r�pondit le capitaine, et nous paierons ensuite. Il est tr�s possible que les raisonnements de Barbicane soient exacts et que j'aie perdu mes neuf mille dollars. Mais une nouvelle hypoth�se se pr�sente � mon esprit, et elle annulerait la gageure.
—Laquelle? demanda vivement Barbicane.
—L'hypoth�se que, pour une raison ou une autre, le feu n'ayant pas �t� mis aux poudres, nous ne soyons pas partis.
—Pardieu, capitaine, s'�cria Michel Ardan, voil� une hypoth�se digne de mon cerveau! Elle n'est pas s�rieuse! Est-ce que nous n'avons pas �t� � demi assomm�s par la secousse? Est-ce que je ne t'ai pas rappel� � la vie? Est-ce que l'�paule du pr�sident ne saigne pas encore du contrecoup qui l'a frapp�e?
—D'accord, Michel, r�p�ta Nicholl, mais une seule question.
—Fais, mon capitaine.
—As-tu entendu la d�tonation qui certainement a d� �tre formidable?
—Non, r�pondit Ardan, tr�s surpris, en effet, je n'ai pas entendu la d�tonation.
—Et vous, Barbicane?
—Ni moi non plus.
—Eh bien? fit Nicholl.
—Au fait! murmura le pr�sident, pourquoi n'avons-nous pas entendu la d�tonation?�
Les trois amis se regard�rent d'un air assez d�contenanc�. Il se pr�sentait l� un ph�nom�ne inexplicable. Le projectile �tait parti cependant, et, cons�quemment, la d�tonation avait d� se produire.
�Sachons d'abord o� nous en sommes, dit Barbicane, et rabattons les panneaux.�
Cette op�ration extr�mement simple, fut aussit�t pratiqu�e. Les �crous qui maintenaient les boulons sur les plaques ext�rieures du hublot de droite, c�d�rent sous la pression d'une clef anglaise. Ces boulons furent chass�s au-dehors, et des obturateurs garnis de caoutchouc bouch�rent le trou qui leur donnait passage. Aussit�t la plaque ext�rieure se rabattit sur sa charni�re comme un sabord, et le verre lenticulaire qui fermait le hublot apparut. Un hublot identique s'�vidait dans l'�paisseur des parois sur l'autre face, du projectile, un autre dans le d�me qui le terminait, un quatri�me enfin au milieu du culot inf�rieur. On pouvait donc observer, dans quatre directions oppos�es, le firmament par les vitres lat�rales et plus directement, la Terre ou la Lune par les ouvertures sup�rieures et inf�rieures du boulet.
Barbicane et ses deux compagnons s'�taient aussit�t pr�cipit�s � la vitre d�couverte. Nul rayon lumineux ne l'animait. Une profonde obscurit� enveloppait le projectile. Ce qui n'emp�cha pas le pr�sident Barbicane de s'�crier:
�Non, mes amis, nous ne sommes pas retomb�s sur terre! Non, nous ne sommes pas immerg�s au fond du golfe du Mexique! Oui! nous montons dans l'espace! Voyez ces �toiles qui brillent dans la nuit, et cette imp�n�trable obscurit� qui s'amasse entre la Terre et nous!
�Hurrah! Hurrah!� s'�cri�rent d'une commune voix Michel Ardan et Nicholl.
En effet, ces t�n�bres compactes prouvaient que le projectile avait quitt� la Terre, car le sol, vivement �clair� alors par la clart� lunaire, e�t apparu aux yeux des voyageurs, s'ils eussent repos� � sa surface. Cette obscurit� d�montrait aussi que le projectile avait d�pass� la couche atmosph�rique, car la lumi�re diffuse, r�pandue dans l'air e�t report� sur les parois m�talliques un reflet qui manquait aussi. Cette lumi�re aurait �clair� la vitre du hublot, et cette vitre �tait obscure. Le doute n'�tait plus permis. Les voyageurs avaient quitt� la Terre.
�J'ai perdu, dit Nicholl.
—Et je t'en f�licite! r�pondit Ardan.
—Voici neuf mille dollars, dit le capitaine en tirant de sa poche une liasse de dollars papier.
—Voulez-vous un re�u? demanda Barbicane en prenant la somme.
—Si cela ne vous d�soblige pas, r�pondit Nicholl. C'est plus r�gulier.�
Et, s�rieusement, flegmatiquement, comme s'il e�t �t� � sa caisse, le pr�sident Barbicane tira son carnet, en d�tacha une page blanche, libella au crayon un re�u en r�gle, le data, le signa, le parapha, et le remit au capitaine qui l'enferma soigneusement dans son portefeuille.
Michel Ardan, �tant sa casquette, s'inclina sans rien dire devant ses deux compagnons. Tant de formalisme en de pareilles circonstances lui coupait la parole. Il n'avait jamais rien vu de si �am�ricain�.
Barbicane et Nicholl, leur op�ration termin�e, s'�taient replac�s � la vitre et regardaient les constellations. Les �toiles se d�tachaient en points vifs sur le fond noir du ciel. Mais, de ce c�t�, on ne pouvait apercevoir l'astre des nuits, qui, marchant de l'est � l'ouest, s'�levait peu � peu vers le z�nith. Aussi son absence provoqua-t-elle une r�flexion d'Ardan.
�Et la Lune? disait-il. Est-ce que, par hasard, elle manquerait � notre rendez-vous?
—Rassure-toi, r�pondit Barbicane. Notre future sph�ro�de est � son poste, mais nous ne pouvons l'apercevoir de ce c�t�. Ouvrons l'autre hublot lat�ral.�
Au moment o� Barbicane allait abandonner la vitre pour proc�der au d�gagement du hublot oppos�, son attention fut attir�e par l'approche d'un objet brillant. C'�tait un disque �norme, dont les colossales dimensions ne pouvaient �tre appr�ci�es. Sa face tourn�e vers la Terre s'�clairait vivement. On e�t dit une petite Lune qui r�fl�chissait la lumi�re de la grande. Elle s'avan�ait avec une prodigieuse vitesse et paraissait d�crire autour de la Terre une orbite qui coupait la trajectoire du projectile. Le mouvement de translation de ce mobile se compl�tait d'un mouvement de rotation sur lui-m�me. Il se comportait donc comme tous les corps c�lestes abandonn�s dans l'espace.
�Eh! s'�cria Michel Ardan, qu'est cela? Un autre projectile?�
Barbicane ne r�pondit pas. L'apparition de ce corps �norme le surprenait et l'inqui�tait. Une rencontre �tait possible, qui aurait eu des r�sultats d�plorables, soit que le projectile f�t d�vi� de sa route, soit qu'un choc, brisant son �lan, le pr�cipit�t vers la Terre, soit enfin qu'il se v�t irr�sistiblement entra�n� par la puissance attractive de cet ast�ro�de.
Le pr�sident Barbicane avait rapidement saisi les cons�quences de ces trois hypoth�ses qui, d'une fa�on ou d'une autre, amenaient fatalement l'insucc�s de sa tentative. Ses compagnons, muets, regardaient � travers l'espace. L'objet grossissait prodigieusement en s'approchant, et par une certaine illusion d'optique, il semblait que le projectile se pr�cipit�t au-devant de lui.
�Mille dieux! s'�cria Michel Ardan, les deux trains vont se rencontrer!�
Instinctivement, les voyageurs s'�taient rejet�s en arri�re. Leur �pouvante fut extr�me, mais elle ne dura pas longtemps, quelques secondes � peine. L'ast�ro�de passa � plusieurs centaines de m�tres du projectile et disparut, non pas tant par la rapidit� de sa course, que parce que sa face oppos�e � la Lune se confondit subitement avec l'obscurit� absolue de l'espace.
�Bon voyage! s'�cria Michel Ardan en poussant un soupir de satisfaction. Comment! l'infini n'est pas assez grand pour qu'un pauvre petit boulet puisse s'y promener sans crainte! Ah ��! qu'est-ce que ce globe pr�tentieux qui a failli nous heurter?
—Je le sais, r�pondit Barbicane.
—Parbleu! tu sais tout.
—C'est, dit Barbicane, un simple bolide, mais un bolide �norme que l'attraction a retenu � l'�tat de satellite.
—Est-il possible! s'�cria Michel Ardan. La terre a donc deux Lunes comme Neptune?
—Oui, mon ami, deux Lunes, bien qu'elle passe g�n�ralement pour n'en poss�der qu'une. Mais cette seconde Lune est si petite et sa vitesse est si grande, que les habitants de la Terre ne peuvent l'apercevoir. C'est en tenant compte de certaines perturbations qu'un astronome fran�ais, M. Petit, a su d�terminer l'existence de ce second satellite et en calculer les �l�ments. D'apr�s ses observations, ce bolide accomplirait sa r�volution autour de la Terre en trois heures vingt minutes seulement, ce qui implique une vitesse prodigieuse.
—Tous les astronomes, demanda Nicholl, admettent-ils l'existence de ce satellite?
—Non, r�pondit Barbicane; mais si, comme nous, ils s'�taient rencontr�s avec lui, ils ne pourraient plus douter. Au fait, j'y pense, ce bolide qui nous e�t fort embarrass�s en heurtant le projectile permet de pr�ciser notre situation dans l'espace.
—Comment? dit Ardan.
—Parce que sa distance est connue et, au point o� nous l'avons rencontr�, nous �tions exactement a huit mille cent quarante kilom�tres de la surface du globe terrestre.
—Plus de deux mille lieues! s'�cria Michel Ardan. Voil� qui enfonce les trains express de ce globe piteux qu'on appelle la Terre!
—Je le crois bien, r�pondit Nicholl en consultant son chronom�tre, il est onze heures, et nous n'avons quitt� le continent am�ricain que depuis treize minutes.
—Treize minutes seulement? dit Barbicane
—Oui, r�pondit Nicholl, et si notre vitesse initiale de onze kilom�tres �tait constante, nous ferions pr�s de dix mille lieues � l'heure!
—Tout cela est fort bien, mes amis, dit le pr�sident, mais reste toujours cette insoluble question. Pourquoi n'avons-nous pas entendu la d�tonation de la Columbiad?�
Faute de r�ponse, la conversation s'arr�ta, et Barbicane, tout en r�fl�chissant, s'occupa de rabaisser le mantelet du second hublot lat�ral. Son op�ration r�ussit, et, par la vitre d�gag�e, la Lune emplit l'int�rieur du projectile d'une brillante lumi�re. Nicholl, en homme �conome, �teignit le gaz qui devenait inutile, et dont l'�clat, d'ailleurs, nuisait � l'observation des espaces interplan�taires.
Le disque lunaire brillait alors avec une incomparable puret�. Ses rayons, que ne tamisait plus la vaporeuse atmosph�re du globe terrestre, filtraient � travers la vitre et saturaient l'air int�rieur du projectile de reflets argentins. Le noir rideau du firmament doublait v�ritablement l'�clat de la Lune, qui, dans ce vide de l'�ther impropre � la diffusion, n'�clipsait pas les �toiles voisines. Le ciel, ainsi vu, pr�sentait un aspect tout nouveau que l'œil humain ne pouvait soup�onner.
On con�oit l'int�r�t avec lequel ces audacieux contemplaient l'astre des nuits, but supr�me de leur voyage. Le satellite de la Terre dans son mouvement de translation se rapprochait insensiblement du z�nith, point math�matique qu'il devait atteindre environ quatre-vingt-seize heures plus tard. Ses montagnes, ses plaines, tout son relief ne s'accusaient pas plus nettement � leurs yeux que s'ils les eussent consid�r�s d'un point quelconque de la Terre; mais sa lumi�re, � travers le vide, se d�veloppait avec une incomparable intensit�. Le disque resplendissait comme un miroir de platine. De la terre qui fuyait sous leurs pieds, les voyageurs avaient d�j� oubli� tout souvenir.
Ce fut le capitaine Nicholl qui, le premier, rappela l'attention sur le globe disparu.
�Oui! r�pondit Michel Ardan, ne soyons pas ingrats envers lui. Puisque nous quittons notre pays, que nos derniers regards lui appartiennent. Je veux revoir la Terre avant qu'elle s'�clipse compl�tement � mes yeux!�
Barbicane, pour satisfaire aux d�sirs de son compagnon, s'occupa de d�blayer la fen�tre du fond du projectile, celle qui devait permettre d'observer directement la Terre. Le disque que la force de projection avait ramen� jusqu'au culot fut d�mont� non sans peine. Ses morceaux plac�s avec soin contre les parois, pouvaient encore servir, le cas �ch�ant. Alors apparut une baie circulaire, large de cinquante centim�tres, �vid�e dans la partie inf�rieure du boulet. Un verre, �pais de quinze centim�tres et renforc� d'une armature de cuivre, la fermait. Au-dessous s'appliquait une plaque d'aluminium retenue par des boulons. Les �crous d�viss�s, les boulons largu�s, la plaque se rabattit, et la communication visuelle fut �tablie entre l'int�rieur et l'ext�rieur.
Michel Ardan s'�tait agenouill� sur la vitre. Elle �tait sombre, comme opaque.
�Eh bien, s'�cria-t-il, et la Terre?
—La Terre, dit Barbicane, la voil�.
—Quoi! fit Ardan, ce mince filet, ce croissant argent�?
—Sans doute, Michel. Dans quatre jours, lorsque la Lune sera pleine, au moment m�me o� nous l'atteindrons, la Terre sera nouvelle. Elle ne nous appara�tra plus que sous la forme d'un croissant d�li� qui ne tardera pas � dispara�tre, et alors elle sera noy�e pour quelques jours dans une ombre imp�n�trable.
—�a! la Terre!� r�p�tait Michel Ardan, regardant de tous ses yeux cette mince tranche de sa plan�te natale.
L'explication donn�e par le pr�sident Barbicane �tait juste. La Terre, par rapport au projectile, entrait dans sa derni�re phase. Elle �tait dans son octant et montrait un croissant finement trac� sur le fond noir du ciel. Sa lumi�re, rendue bleu�tre par l'�paisseur de la couche atmosph�rique, offrait moins d'intensit� que celle du croissant lunaire. Ce croissant se pr�sentait sous des dimensions consid�rables. On e�t dit un arc �norme tendu sur le firmament. Quelques points, vivement �clair�s, surtout dans sa partie concave, annon�aient la pr�sence de hautes montagnes; mais ils disparaissaient parfois sous d'�paisses taches qui ne se voient jamais � la surface du disque lunaire. C'�taient des anneaux de nuage dispos�s concentriquement autour du sph�ro�de terrestre.
Cependant, par suite d'un ph�nom�ne naturel, identique � celui qui se produit sur la Lune lorsqu'elle est dans ses octants, on pouvait saisir le contour entier du globe terrestre. Son disque entier apparaissait assez visiblement par un effet de lumi�re cendr�e, moins appr�ciable que la lumi�re cendr�e de la Lune. Et la raison de cette intensit� moindre est facile � comprendre. Lorsque ce reflet se produit sur la Lune, il est d� aux rayons solaires que la Terre r�fl�chit vers son satellite. Ici, par un effet inverse, il �tait d� aux rayons solaires r�fl�chis de la Lune vers la Terre. Or, la lumi�re terrestre est environ treize fois plus intense que la lumi�re lunaire, ce qui tient � la diff�rence de volume des deux corps. De l�, cette cons�quence que, dans le ph�nom�ne de la lumi�re cendr�e, la partie obscure du disque de la Terre se dessine moins nettement que celle du disque de la Lune, puisque l'intensit� du ph�nom�ne est proportionnelle au pouvoir �clairant des deux astres. Il faut ajouter aussi que le croissant terrestre semblait former une courbe plus allong�e que celle du disque. Pur effet d'irradiation.
Tandis que les voyageurs cherchaient � percer les profondes t�n�bres de l'espace,
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