Autour de la Lune by Jules Verne (essential reading .txt) 📗
- Author: Jules Verne
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En somme, c'�tait tout ce qu'ils voyaient de ce sph�ro�de perdu dans l'ombre, astre inf�rieur du monde solaire, qui, pour les grandes plan�tes, se couche ou se l�ve comme une simple �toile du matin ou du soir! Imperceptible point de l'espace, ce n'�tait plus qu'un croissant fugitif, ce globe o� ils avaient laiss� toutes leurs affections!
Longtemps, les trois amis, sans parler, mais unis de cœur, regard�rent, tandis que le projectile s'�loignait avec une vitesse uniform�ment d�croissante. Puis, une somnolence irr�sistible envahit leur cerveau. �tait-ce fatigue de corps et fatigue d'esprit? Sans doute, car apr�s la surexcitation de ces derni�res heures pass�es sur la Terre, la r�action devait in�vitablement se produire.
�Eh bien, dit Michel, puisqu'il faut dormir, dormons.�
Et, s'�tendant sur leurs couchettes, tous trois furent bient�t ensevelis dans un profond sommeil.
Mais ils ne s'�taient pas assoupis depuis un quart d'heure, que Barbicane se relevait subitement et r�veillant ses compagnons d'une voix formidable:
�J'ai trouv�! s'�cria-t-il!
—Qu'as-tu trouv�? demanda Michel Ardan sautant hors de sa couchette.
—La raison pour laquelle nous n'avons pas entendu la d�tonation de la Columbiad!
—Et c'est?... fit Nicholl.
—Parce que notre projectile allait plus vite que le son!�
IIIO� l'on s'installe
Cette explication curieuse, mais certainement exacte, une fois donn�e, les trois amis s'�taient replong�s dans un profond sommeil. O� auraient-ils, pour dormir, trouv� un lieu plus calme, un milieu plus paisible? Sur terre, les maisons des villes, les chaumi�res des campagnes, ressentent toutes les secousses imprim�es � l'�corce du globe. Sur mer, le navire, ballott� par les lames, n'est que choc et mouvement. Dans l'air, le ballon oscille incessamment sur des couches fluides de densit�s diverses. Seul, ce projectile, flottant dans le vide absolu, au milieu du silence absolu, offrait � ses h�tes le repos absolu.
Aussi, le sommeil des trois aventureux voyageurs se f�t-il peut-�tre ind�finiment prolong�, si un bruit inattendu ne les e�t �veill�s vers sept heures du matin, le 2 d�cembre, huit heures apr�s leur d�part.
Ce bruit, c'�tait un aboiement tr�s caract�ris�.
�Les chiens! Ce sont les chiens!� s'�cria Michel Ardan, se relevant aussit�t.
—Ils ont faim, dit Nicholl.
—Pardieu! r�pondit Michel, nous les avons oubli�s!
—O� sont-ils?� demanda Barbicane.
On chercha, et l'on trouva l'un de ces animaux blotti sous le divan. �pouvant�, an�anti par le choc initial, il �tait rest� dans ce coin jusqu'au moment o� la voix lui revint avec le sentiment de la faim.
C'�tait l'aimable Diane, assez penaude encore, qui s'allongea hors de sa retraite, non sans se faire prier. Cependant Michel Ardan l'encourageait de ses plus gracieuses paroles.
�Viens, Diane, disait-il, viens, ma fille! toi, dont la destin�e marquera dans les annales cyn�g�tiques! toi que les pa�ens eussent donn�e pour compagne au dieu Anubis, et les chr�tiens pour amie � saint Roch! toi, digne d'�tre forg�e en airain par le roi des enfers, comme ce toutou que Jupiter c�da � la belle Europe au prix d'un baiser! toi, dont la c�l�brit� effacera celle des h�ros de Montargis et du mont Saint-Bernard! toi, qui, t'�lan�ant vers les espaces interplan�taires, seras peut-�tre l'�ve des chiens s�l�nites! toi qui justifieras l�-haut cette parole de Toussenel: �Au commencement. �Dieu cr�a l'homme, et le voyant si faible, il lui �donna le chien!� Viens, Diane! viens ici!�
Diane, flatt�e ou non, s'avan�ait peu � peu et poussait des g�missements plaintifs.
�Bon! fit Barbicane, je vois bien �ve, mais o� est Adam?
—Adam! r�pondit Michel, Adam ne peut �tre loin! Il est l�, quelque part! Il faut l'appeler! Satellite! ici, Satellite!�
Mais Satellite ne paraissait pas. Diane continuait de g�mir. On constata cependant qu'elle n'�tait point bless�e, et on lui servit une app�tissante p�t�e qui fit taire ses plaintes.
Quant � Satellite, il semblait introuvable. Il fallut chercher longtemps avant de le d�couvrir dans un des compartiments sup�rieurs du projectile, o� un contrecoup, assez inexplicable, l'avait violemment lanc�. La pauvre b�te, fort endommag�e, �tait dans un piteux �tat.
�Diable! dit Michel, voil� notre acclimatation compromise!�
On descendit le malheureux chien avec pr�caution. Sa t�te s'�tait fracass�e contre la vo�te, et il semblait difficile qu'il rev�nt d'un tel choc. N�anmoins, il fut confortablement �tendu sur un coussin et l�, il laissa �chapper un soupir.
�Nous te soignerons, dit Michel. Nous sommes responsables de ton existence. J'aimerais mieux perdre un bras qu'une patte de mon pauvre Satellite!�
Et, ce disant, il offrit quelques gorg�es d'eau au bless�, qui les but avidement.
Ces soins donn�s, les voyageurs observ�rent attentivement la Terre et la Lune. La Terre n'�tait plus figur�e que par un disque cendr� que terminait un croissant plus r�tr�ci que la veille; mais son volume restait encore �norme, si on le comparait � celui de la Lune qui se rapprochait de plus en plus d'un cercle parfait.
�Parbleu! dit alors Michel Ardan, je suis vraiment f�ch� que nous ne soyons pas partis au moment de la Pleine-Terre, c'est-�-dire lorsque notre globe se trouvait en opposition avec le Soleil.
—Pourquoi? demanda Nicholl.
—Parce que nous aurions aper�u sous un nouveau jour nos continents et nos mers, ceux-ci resplendissants sous la projection des rayons solaires, celles-l� plus sombres et telles qu'on les reproduit sur certaines mappemondes! J'aurais voulu voir ces p�les de la Terre sur lesquels le regard de l'homme ne s'est encore jamais repos�!
—Sans doute, r�pondit Barbicane, mais si la Terre avait �t� pleine, la Lune aurait �t� nouvelle, c'est-�-dire invisible au milieu de l'irradiation du Soleil. Or, mieux vaut pour nous voir le but d'arriv�e que le point de d�part.
—Vous avez raison, Barbicane, r�pondit le capitaine Nicholl, et d'ailleurs quand nous aurons atteint la Lune, nous aurons le temps, pendant les longues nuits lunaires, de consid�rer � loisir ce globe o� fourmillent nos semblables!
—Nos semblables! s'�cria Michel Ardan. Mais maintenant, ils ne sont pas plus nos semblables que les S�l�nites! Nous habitons un monde nouveau, peupl� de nous seuls, le projectile! Je suis le semblable de Barbicane, et Barbicane est le semblable de Nicholl. Au-del� de nous, en dehors de nous, l'humanit� finit, et nous sommes les seules populations de ce microcosme jusqu'au moment o� nous deviendrons de simples S�l�nites!
—Dans quatre-vingt-huit heures environ, r�pliqua le capitaine.
—Ce qui veut dire?... demanda Michel Ardan.
—Qu'il est huit heures et demie, r�pondit Nicholl.
—Eh bien, repartit Michel, il m'est impossible de trouver m�me l'apparence d'une raison pour laquelle nous ne d�jeunerions pas illico.�
En effet, les habitants du nouvel astre ne pouvaient y vivre sans manger, et leur estomac subissait alors les imp�rieuses lois de la faim. Michel Ardan, en sa qualit� de Fran�ais, se d�clara cuisinier en chef, importante fonction qui ne lui suscita pas de concurrents. Le gaz donna les quelques degr�s de chaleur suffisants pour les appr�ts culinaires, et le coffre aux provisions fournit les �l�ments de ce premier festin.
Le d�jeuner d�buta par trois tasses d'un bouillon excellent, d� � la liqu�faction dans l'eau chaude de ces pr�cieuses tablettes Liebig, pr�par�es avec les meilleurs morceaux des ruminants des Pampas. Au bouillon de bœuf succ�d�rent quelques tranches de beefsteak comprim�s � la presse hydraulique, aussi tendres, aussi succulents que s'ils fussent sortis des cuisines du caf� Anglais. Michel, homme d'imagination, soutint m�me qu'ils �taient �saignants�.
Des l�gumes conserv�s �et plus frais que nature�, dit aussi l'aimable Michel, succ�d�rent au plat de viande, et furent suivis de quelques tasses de th� avec tartines beurr�es � l'am�ricaine. Ce breuvage, d�clar� exquis, �tait d� � l'infusion de feuilles de premier choix dont l'empereur de Russie avait mis quelques caisses � la disposition des voyageurs.
Enfin, pour couronner ce repas, Ardan d�nicha une fine bouteille de Nuits, qui se trouvait �par hasard� dans le compartiment des provisions. Les trois amis la burent � l'union de la Terre et de son satellite.
Et comme si ce n'�tait pas assez de ce vin g�n�reux qu'il avait distill� sur les coteaux de Bourgogne, le Soleil voulut se mettre de la partie. Le projectile sortait en ce moment du c�ne d'ombre projet� par le globe terrestre, et les rayons de l'astre radieux frapp�rent directement le disque inf�rieur du boulet, en raison de l'angle que fait l'orbite de la Lune avec celle de la Terre.
�Le Soleil! s'�cria Michel Ardan.
—Sans doute, r�pondit Barbicane. Je l'attendais.
—Cependant, dit Michel, le c�ne d'ombre que la Terre laisse dans l'espace s'�tend au-del� de la Lune?
—Beaucoup au-del�, si on ne tient pas compte de la r�fraction atmosph�rique, dit Barbicane. Mais quand la Lune est envelopp�e dans cette ombre, c'est que les centres des trois astres, le Soleil, la Terre et la Lune, sont en ligne droite. Alors les nœuds co�ncident avec les phases de la Pleine-Lune et il y a �clipse. Si nous �tions partis au moment d'une �clipse de Lune, tout notre trajet se f�t accompli dans l'ombre, ce qui e�t �t� f�cheux.
—Pourquoi?
—Parce que, bien que nous flottions dans le vide, notre projectile, baign� au milieu des rayons solaires recueillera leur lumi�re et leur chaleur. Donc, �conomie de gaz, �conomie pr�cieuse � tous �gards.�
En effet, sous ces rayons dont aucune atmosph�re n'adoucissait la temp�rature et l'�clat, le projectile se r�chauffait et s'�clairait comme s'il e�t subitement pass� de l'hiver � l'�t�. La Lune en haut, le Soleil en bas, l'inondaient de leurs feux.
�Il fait bon ici, dit Nicholl.
—Je le crois bien! s'�cria Michel Ardan. Avec un peu de terre v�g�tale r�pandue sur notre plan�te d'aluminium, nous ferions pousser les petits pois en vingt-quatre heures. Je n'ai qu'une crainte, c'est que les parois du boulet n'entrent en fusion!
—Rassure-toi, mon digne ami, r�pondit Barbicane. Le projectile a support� une temp�rature bien autrement �lev�e, pendant qu'il glissait sur les couches atmosph�riques. Je ne serais m�me pas �tonn� qu'il se f�t montr� aux yeux des spectateurs de la Floride comme un bolide en feu.
—Mais alors, J.-T. Maston doit nous croire r�tis.
—Ce qui m'�tonne, r�pondit Barbicane, c'est que nous ne l'ayons pas �t�. C'�tait l� un danger que nous n'avions pas pr�vu.
—Je le craignais, moi, r�pondit simplement Nicholl.
—Et tu ne nous en avais rien dit, sublime capitaine!� s'�cria Michel Ardan en serrant la main de son compagnon.
Cependant Barbicane proc�dait � son installation dans le projectile comme s'il n'e�t jamais d� le quitter. On se rappelle que ce wagon a�rien offrait � sa base une superficie de cinquante-quatre pieds carr�s. Haut de douze pieds jusqu'au sommet de sa vo�te, habilement am�nag� � l'int�rieur, peu encombr� par les instruments et ustensiles de voyage qui occupaient chacun une place sp�ciale, il laissait � ses trois h�tes une certaine libert� de mouvements. L'�paisse vitre, engag�e dans une partie du culot, pouvait supporter impun�ment un poids consid�rable. Aussi Barbicane et ses compagnons marchaient-ils � sa surface comme sur un plancher solide; mais le Soleil, qui la frappait directement de ses rayons, �clairant par en dessous l'int�rieur du projectile, y produisait de singuliers effets de lumi�re.
On commen�a par v�rifier l'�tat de la caisse � eau et de la caisse aux vivres. Ces r�cipients n'avaient aucunement souffert, gr�ce aux dispositions prises pour amortir le choc. Les vivres �taient abondants et pouvaient nourrir les trois voyageurs pendant une ann�e enti�re. Barbicane avait voulu se pr�cautionner pour le cas o� le projectile arriverait sur une portion absolument st�rile de la Lune. Quant � l'eau et � la r�serve d'eau-de-vie qui comprenait cinquante gallons, il y en avait pour deux mois seulement. Mais, � s'en rapporter aux derni�res observations des astronomes, la Lune conservait une atmosph�re basse, dense, �paisse, au moins dans ses vall�es profondes, et l� les ruisseaux, les sources ne pouvaient manquer. Donc, pendant la dur�e du trajet et pendant la premi�re ann�e de leur installation sur le continent lunaire, les aventureux explorateurs ne devaient �tre �prouv�s ni par la faim ni par la soif.
Restait la question de l'air � l'int�rieur du projectile. L� encore, toute s�curit�. L'appareil Reiset et Regnaut, destin� � la production de l'oxyg�ne, �tait aliment� pour deux mois de chlorate de potasse. Il consommait n�cessairement une certaine quantit� de gaz, car il devait maintenir au-dessus de quatre cents degr�s la mati�re productrice. Mais l� encore, on �tait en fonds. L'appareil ne demandait, d'ailleurs, qu'un peu de surveillance. Il fonctionnait automatiquement. A cette temp�rature �lev�e, le chlorate de potasse, se changeant en chlorure de potassium, abandonnait tout l'oxyg�ne qu'il contenait. Or, que donnaient dix-huit livres de chlorate de potasse? Les sept livres d'oxyg�ne n�cessaire � la consommation quotidienne des h�tes du projectile.
Mais il ne suffisait pas de renouveler l'oxyg�ne d�pens�, il fallait encore absorber l'acide carbonique produit par l'expiration. Or, depuis une douzaine d'heures, l'atmosph�re du boulet s'�tait charg�e de ce gaz absolument d�l�t�re, produit d�finitif de la combustion des �l�ments du sang par l'oxyg�ne inspir�. Nicholl reconnut cet �tat de l'air en voyant Diane haleter p�niblement. En effet, l'acide carbonique—par un ph�nom�ne identique � celui qui se produit dans la fameuse Grotte du Chien—se massait vers le fond du projectile, en raison de sa pesanteur.
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